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Jean-Luc Michel

Un outil pas tout à fait comme les autres ! (1)

 

 

Une tendance assez rŽcente consiste ˆ banaliser l'ordinateur et ˆ le prŽsenter comme un simple outil pŽdagogique ou didactique, au mme titre que le tableau noir. On espre sincrement qu'ainsi il ne fera plus "peur", ou encore qu'il dŽclenchera moins de rŽflexes de mŽfiance, voire de dŽfiance... Or cette prŽsentation plut™t sympathique n'a peut-tre pas que des avantages...

Si l'ordinateur ne devait plus tre peru qu'en tant que simple auxiliaire, Žventuellement plus brillant que d'autres, il perdrait du mme coup son pouvoir d'ŽtrangetŽ, il ne dŽrangerait plus, il n'obligerait plus ˆ discuter avec les autres, ni ˆ se remettre plus ou moins en cause soi-mme; en un mot, il perdrait son c™tŽ un peu "rŽvolutionnaire", et ˆ la limite, rien n'empcherait que tout l'enseignement redevienne comme avant... On aura reconnu lˆ un schŽma classique attribuant ˆ l'informatique des vertus de changement de la socitŽ qu'elle ne possde sžrement pas en propre... Faut-il en dŽduire que la banalisation des Žquipements doit tre attendue avec impatience ? Nous pensons que non, la pŽriode actuelle de doutes et d'interrogations nous appara”t fructueuse, mme si des questions demeurent sans rŽponse... . L'ordinateur, comme toute technique ne saurait tre "neutre", il conditionne en partie les modes de vie et bient™t de travail ou de loisir de la plupart de nos contemporains, aussi convient-il de bien conna”tre ses principaux usages.

Mais avant toutes choses, il importe de dresser un Žtat des lieux sommaire de l'informatique dans l'enseignement montrant la difficultŽ et le danger des raisonnements globaux qui ignorent des rŽalitŽs locales et des travaux du meilleur intŽrt (1).

Ceux qui ont des ordinateurs et ceux qui n'en ont pas...

L'Žgalit des chances de disposer d'un ordinateur n'existe pas plus que d'autres, plus connues (et plus urgentes sans doute). Ce qui explique les grandes disparitŽs d'Žquipements entre des Žtablissements voisins. Les dotations sont le plus souvent nationales (plan "100 000 micros"), avec quelques exemples de singularisation locale, lorsqu'ˆ la faveur d'un PAE, ou d'une volontŽ municipale ou dŽpartementale, ou encore d'une collecte avisŽe de la taxe d'apprentissage, ou bien tout simplement de sommes rassemblŽes par une coopŽrative, un Žtablissement se retrouve ŽquipŽ plus ou moins compltement d'ordinateurs pas toujours compatibles avec les modles "officiels". On ne peut ignorer non plus les collgues qui vont jusqu'ˆ s'acheter eux-mmes un ordinateur et le mettent au service de leurs Žlves dans le but d'amŽliorer leur action pŽdagogique... On ne peut quand mme pas exiger d'eux qu'ils achtent des modles imposŽs, chers et pas toujours performants... Et puis, s'il n'y a pas encore beaucoup de micro-ordinateurs dans les classes (2), on commence ˆ en dŽnombrer dans les familles, ou tout au moins chez certaines d'entre-eux (ce qui fait un facteur sŽgrŽgatif de plus). Ajoutons ˆ ce bref tableau l'inscription possible dans des clubs de micro, ce qui garantit de pouvoir disposer de matŽriels et d'aides en principe suffisantes pour acquŽrir quelques rudiments d'informatique.

Ceux qui ont des logiciels, et ceux qui n'en ont pas...

Il ne sert ˆ rien d'examiner l'implantation des matŽriels en laissant de c™tŽ celle des logiciels, et du c™tŽ de ces derniers la situation ne semble gure brillante : Si Les futurs utilisateurs disposent en principe d'environ 400 ˆ 600 "heures" de programmes essentiellement fournies par le CNDP. Malheureusement, sans mme parler de la qualitŽ de ces logiciels (qui est d'ailleurs assez variable), la plupart d'entre eux ne sont disponbibles que sur des grosses machines du type MICRAL, R2E, BULL, ou LEANORD. Pour les dŽtenteurs de THOMSON TO 7 (ou MO 5), il n'est donc pas question de pouvoir puiser beaucoup dans ce catalogue. Ajoutons que les Žditeurs privŽs sont sur les rangs depuis un an ou deux et commencent ˆ offrir quelques logiciels convenables et pas trop onŽreux, au point qu'ˆ la condition de pouvoir obtenir de son Žtablissement l'attribution des crŽdits nŽcessaires (certains sembleraient utiliser les crŽdits "livres"), on puisse envisager d'en acquŽrir quelques uns ne serait-ce que pour dŽmarrer... ) Profitons-en pour souligner une difficultŽ importante qui va se rencontrer de plus en plus frŽquemment une fois que le financement aura ŽtŽ trouvŽ : quels didacticiels choisir, sur quels critres, et comment les trouver sans nŽcessairement avoir ˆ se mettre en qute de leur auteur/concepteur. Comme on a dŽjˆ pu s'en rendre compte, peu de choses ont ŽtŽ faites pour faciliter l'Žquipement en logiciels en mme temps que les matŽriels. On pourrait croire qu'il s'agit lˆ d'une consŽquence d'une Žventuelle politique volontariste de production "locale" de programmes par les enseignants eux-mmes dans leurs classes, avec leurs Žlves. Or, il n'en est rien puisque ni les formations offertes (en moyenne une centaine d'heures), ni les matŽriels choisis (TO 7 ou MO 5) ne permettent d'aborder facilement, rapidement et efficacement la programmation dans un langage ŽvoluŽ quelconque.

On pourra ˆ ce propos rappeler qu'aprs avoir fait dŽvelopper un langage spŽcifique ˆ l'enseignement, le LSE (3), et avoir formŽ plusieurs centaines d'enseignants ˆ son emploi, le ministre n'a pas su imposer ˆ notre constructeur "national" (la maison THOMSON) de livrer ses modles TO 7 avec le langage en question, alors que cette firme se trouvait pourtant assurŽe d'un juteux "marchŽ captif" de plusieurs dizaines de milliers de machines dans les Žtablissements et de quelques dizaines de milliers d'autres dans le grand public, rien que par des effets induits du genre "achetons le mme ordinateur qu'ˆ l'Žcole"... (4) ]

Ajoutons enfin ˆ ces sources de logiciels les associations (5) et regroupements divers Žmanant de collgues qui sur le terrain, veulent se prendre en charge en n'attendant pas (indŽfiniment) que le ministre s'engage dans une politique rŽsolue de production et d'aide ˆ la diffusion des produits de valeur qui existent dŽjˆ dans les classes (6).

Et les langages ?...

Nous avons fait alllusion plus haut au problme du LSE, mais il faut savoir que d'autres langages sont disponibles sur la plupart des micro-ordinateurs. Nous n'aborderons pas ici le problme du choix de l'un d'entre eux et nous nous contenterons de rappeler qu'il existe dŽsormais des versions tout ˆ fait intŽressantes de BASIC franais, et que LOGO devient pratiquement disponible sur toutes les machines, malheureusement ˆ des tarifs encore prohibitifs. On aurait peut-tre pu passer des accords directement avec ses auteurs amŽricains et proposer une version authentiquement franaise; quand au PASCAL, il nous semble injustement inconnu, alors qu'il recle pourtant de grandes vertus pŽdagogiques aussit™t que l'on veut dŽpasser le stade d'une simple initiation ˆ l'informatique. D'autres exemples abondent dont le dernier en date concerne la gŽnŽration des "langages d'auteurs " qui devaient thŽoriquement ouvrir l'informatique aux non spŽcialistes en permettant aux collgues de concevoir leur assistance de cours ou d'exercices en rŽdigeant des pages d'exercices sous forme de sŽquences d'interrogations/rŽponses, malheureusement, ces systmes sur la technique d'utilisation desquels nous reviendrons, ne sont pas encore pleinement disponibles parce qu'insuffisamment et trop tardivement encouragŽs. Quand la programmation par les Žlves, trs intŽressante pŽdagogiquement et socialement, elle para”t, vu les conditions actuelles, rŽservŽe ˆ ceux dont les ma”tres sont eux-mmes des passionnŽs (et nous savons qu'il y en a beaucoup) qui acceptent d'y consacrer (nous ne disons pas d'y sacrifier) des centaines d'heures d'efforts intenses sur des systme spas vraiment conus pour ce genre d'usage.

 

Un outil pas tout à fait comme les autres ! (2)

 

Un outil ou une doctrine ?...

Nous n'avons pas la place de dŽvelopper ici ce sujet, aussi nous contenterons-nous de rappeler les principaux point de vue en prŽsence, en laissant ˆ nos lecteurs le soin de dŽcider en faveur desquels il convient de dŽfinir des prioritŽs :

1). L'ordinateur n'est qu'un simple outil pŽdagogique, au mme titre que le tableau noir ou le manuel. Il n'a pas de caractŽristique propre.

2). L'ordinateur est "transparent" pour son utilisateur qui n'a pas ˆ se prŽoccuper du "comment a marche", on peut le comparer ˆ une automobile : point n'est besoin de conna”tre ses principes de fonctionnement pour pouvoir s'en servir...

3). L'ordinateur va devenir compltement banal et ne rien changer ˆ la vie de la classe, ni ˆ son organisation...

4). L'ordinateur change le rapport au savoir, il oblige ses utilisateurs ˆ dŽcouvrirun nouveau "savoir apprendre"... .

5). L'ordinateur entraine des modifications structurelles globales importantes dans les manires d'apprendre... .

6). L'ordinateur va supprimer les retards scolaires puisque chacun pourra travailler ˆ son propre rythme...

.7). etc...

On pourrait continuer longtemps ainsi, ˆ coup d'affirmations aussi pŽremptoires d'un c™tŽ que de l'autre. Il para”t vraissemblable que la "vŽritŽ" se situera vers le milieu de ces positions extrmes...

Les attitudes possibles face ˆ l'informatique...

Si l'on veut que les ordinateurs ne dŽclenchent plus de rŽaction de crainte larvŽe ou de rejet brutal, plut™t que de tenter une vaine "banalisation" dont quelques uns des "effets pervers" ont ŽtŽ dŽcrits plus haut, mieux vaudrait montrer qu'il existe un large Žventail de perceptions et d'usages, de faon ˆ bien convaincre ses (futurs) utilisateurs de l'intŽrt qu'il prŽsente pour eux.

En voici un bref survol des principales attitudes sur lequelles nous reviendrons au cours de cette annŽe :

1). Auxiliaire de gestion des Žlves (notes, courbes comparŽes de progrs, renseignement statistiques). Vu sous cet angle, l'ordinateur ne change rien ˆ la vie de la classe.

2). Auxiliaire de prŽparation pour l'enseignant, notamment gr‰ce aux progiciels de traitement de texte qui lui permettent de mettre ˆ jour ses polycopiŽs, ses feuilles d'interrogation, ses rŽsumŽs, ses exercices ˆ trous, ce temps "rŽcupŽrŽ" pouvant tre rŽutilisŽ dans d'autres activitŽs plus intŽressantes et efficaces...

3). Auxiliaire d'activitŽs simples en classe : journal, correspondance scolaire, dictionnaire collectif, cahier de texte avec fiches sur le travail fait et ˆ faire, etc.

4). Auxiliaire pour l'organisation, l'Žvaluation et le suivi des Travaux DirigŽs ou des Travaux Pratiques sur Ordinateur.

5). Outil intŽgrŽ au travail de la classe ou du groupe : bases de donnŽes locales consultables depuis la salle de classe, le CDI ou l'extŽrieur.

6). Outil spŽcialisŽ pour des activitŽs spŽcifiques aux travaux disciplinaires ou interdisciplinaires : par exemple en dessin, en musique, en Travaux Manuels Educatifs, en Žconomie ou en chimie-biologie, gr‰ce aux possibilitŽs graphiques de simulation.

7). Instrument de dŽcouverte et de pratique des mŽdias, notamment par des extensions tŽlŽmatiques.

8). Instrument d'initiation aux technologies de traitement de l'information et plus tard des connaissances...

Cette liste n'est Žvidemment pas exhaustive, et en conclusion provisoire, nous rappelerons qu'ˆ notre sens le projet pŽdagogique de la classe ou de l'Žtablissement devra dŽfinir des orientations et des prioritŽs ˆ partir desquelles on devrait ensuite examiner quels Žquipements conviennent le mieux en qualitŽ et en quantitŽ en fonction des objectifs locaux, ˆ condition bien sžr que ceux-ci et ceux-lˆ s'inscrivent d'eux-mmes dans une sorte de "contrat national" d'utilisation de l'informatique dans l'enseignement. .

L'article était complété d'un encadré sur Elmo 0 l'excellent logiciel de l'association française pour la lecture, présidée par Jean Foucambert avec lequel je fis combat commun contre les technocates et les démagogues.

 

(1). Voir ˆ ce sujet les rŽseaux prŽsentŽs dans l'EL n¡ 2 du 22/09/84

(2). En principe, entre 10 et 20 000 ˆ la fin 84, pour 50 000 Žtablissements, 600 000 enseignants et 12 millions d'Žlves

(3). Ou Langage Symbolique d'Enseignement

(4). Rappelons que l'association Enseignement Public et Informatique a rŽussi ˆ mettre au point une cartouche LSE destinŽe au TO 7. EPI 11 rue Morinet 94270 LE KREMLIN BICETRE

(5). Comme l'EPI dŽjˆ citŽe, ou l'ADETI, CENTRE AES, 29 rue Boursault 75017 PARIS, OU L'ADEMIR, Collge J Vilar, rue de la gare, 93120 LA COURNEUVE. .

(6). Nous reviendrons dans de prochaines fiches sur les rŽalisations menŽes dans des classes de collgues.

Jean-Luc MICHEL

1984

 

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Articles de vulgarisation

Commentaire

Article paru en novembre 1984 en pleine élaboration du plan "Informatique pour tous" dont je fus le concepteur pour Gaston Defferre sous une double casquette, conseiller technique du SNI-PEGC (FEN) et chef de projet d'une association dépendant des ministères de la Jeunesse et des Sports ainsi que de celui de l'Industrie. Je ne pouvais rien dire aux lecteurs mais tentais de "préparer" le terrain en disant le plus de mal possible des matériels français de l'époque, les innénarables Bull Micra 30 et autres Thomson TO7 ou MO5 contre lesquels je ferraillais dûr tant ils avaient de partisans… parmi tous ceux qui ne connaissaient pas le potentiel révolutionnaire du Macintos d'Apple.

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