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Jean-Luc Michel

Le plan "Informatique pour tous"… tel qu'il a été saboté…

Pour ceux qui préfèrent lire d'abord la version "optimiste" et symétrique : Les institeurs, modernisateurs de la République" (si le plan avait été réussi).

 

"INFORMATIQUE POUR TOUS".

UNE MODERNISATION AU RABAIS ?…

L'école n'est pas là pour permettre à des grands groupes industriels de chercher à éponger une partie de leurs déficits...

Voilà une phrase que l'on commence à entendre, maintenant que sont à peu près connues les décisions concernant l'opération "Informatique pour tous", annoncée par le Premier Ministre.

Une opération d'une telle envergure aurait dû déclencher l'intérêt du grand public et des médias et l'enthousiasme des enseignants. Or, on a pu constater le peu d'échos rencontrés aussi bien chez les Ministres en principe concernés (*), que chez les enseignants eux-mêmes.

Ce qui aurait pu apparaître comme une grande affaire du présent gouvernement se retrouve noyé dans le quotidien, au même titre que d'autres "décisions importantes" pour l'école, comme les moûtures successives des "plans informatiques" ou plus anciennement des "plans audiovisuels".

Quelle est la raison de cet oubli précoce ?… Une injustice flagrante de la part des médias qui préfèrent le sensationnel, "l'extra"-ordinaire ou le plus directement "politique"... Une indifférence foncière du public, trop sollicité par d'autres nouvelles jugées "plus intéressantes" ?… Ou la perception diffuse qu'il ne s'agit que d'un "tigre de papier" ou d'un rideau de fumée ?…

En d'autres termes, s'agit-il d'une bonne opération mal présentée au public (une fois de plus…) ou au contraire d'une action véritablement mal préparée ?

Il est encore tôt pour tôt pour se prononcer de manière définitive et l'on a trop vu de "bonnes" décisions politiques ne déboucher sur rien d'efficace pour s'engager dans des jugements péremptoires. Il n'empêche que cette opération suscite de nombreuses questions :

Quelles finalités ?

En premier lieu, on peut se demander quelles sont ses finalités réelles et ses objectifs à moyen et à long terme ? Vu les sommes engagées, on ne peut en effet se satisfaire des quelques généralités qui ont été annoncées, comme "sensibiliser tous les élèves à l'informatique ". Des buts de ce genre sont tellement généraux et vagues qu'ils ne possèdent plus tellement de force attractive vis à vis de ceux qui doivent les mettre en pratique, c'est à dire des enseignants, des animateurs et pourquoi pas des partenaires industriels.

On retrouve là une critique hélas "habituelle" vis à vis des grands projets de ce genre. Les finalités affichées sont-elles à la hauteur des ambitions sociales, politiques et financières ?…

On peut en particulier s'inquiéter qu'en pleine période de définition des missions de l'école, la modernisation apportée par ces ateliers de pratique informatique apparaisse aussi plate et aussi terne, et ne fasse nullement référence à un rôle pourtant fondamental de l'école moderne : celui d'apprendre à utiliser les nouveaux médias dont l'informatique et la télématique, et en particulier d'apprendre à se "distancier" suffi- samment d'eux pour être enfin capable de relativiser ce qu'ils transmettent.

Si l'on accepte un instant cet élargissement "simple et pratique " de la mission de l'institution scolaire vis à vis d'un environnement qui n'est plus celui du simple écrit comme du temps de Jules FERRY, on peut s'étonner du peu d'importance accordée par les responsables du projet à une question pourtant fondamentale et qui pourrait peut-être rassembler beaucoup de français.

Reprendre les thèmes de l'école du XIX ème siècle ? Oui, lorsqu'il s'agit d'un encouragement à l'effort, au dépassement de soi-même par la lecture et l'écriture, c'est à dire la maîtrise des moyens de communication… Pourvu que l'on prenne effectivement en compte les outils de son temps et à condition qu'ils ne soient pas déjà périmés.

Avec cette opération d'ateliers d'informatique populaire, l'école aurait pu prendre de l'avance sur son temps et redevenir ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être, un lieu de découverte, un lieu de réussite, un lieu "attractif". Elle aurait dû saisir une chance historique : celle de s'ouvrir sur la société en offrant la possibilité à ses anciens élèves (c'est à dire à des parents…ou à des jeunes trop tôt exclus par le système) d'y revenir pour y trouver un lieu de connaissance du monde technologique contemporain, un espace non seulement de simple initiation, mais surtout de formation et de création personnelle ou collective.

Ce mélange dans les murs des écoles de toute la population intéressée par l'informatique et la télématique et par les autres technologies de la communication aurait sans doute eu des chances de faire éclore la ressource humaine dont Samuel PISAR nous a d'abord fait sentir l'immense richesse puis entrevoir l'impérieuse nécessité de son jaillissement, et dont Laurent FABIUS a repris l'argumentation en écrivant "L'objectif pour la France est de parier comme le décrit Samuel Pisar sur la ressource humaine."

Si ces finalités avaient été plus fortement explicitées, on aurait pu espérer que le projet suscite au minimum un vif intérèt de ceux qu'il concernait, voire de l'enthousiasme de la part des instituteurs et des professeurs chargés de prendre en charge ces ateliers.

Malheureusement, de manque d'audace intellectuelle en ce qu'il faudra bien appeler un jour en manque de clairvoyance, nos décideurs n'ont pas saisi cette occasion pour énoncer des décisions novatrices dont l'Education Nationale aurait bien besoin. Les ateliers sont présentés comme une simple "accélération" du plan "100 000 micros", lui-même "accélération" du plan "10 000 micros" du précédent septennat. L'objectif demeure de "sensibiliser " la population qui l'est déjà par la pression constante des médias sur tout ce qui concerne l'informatique.

Il serait trop facile de dresser un catalogue des mesures qui auraient pu ou qui auraient du être prises et qui ne l'ont pas été. Comme nous estimons qu'il n'est pas encore trop tard, nous nous contenterons d'insister sur ce qui nous apparaît le plus important et le plus urgent :

Quels matériels ?

Le principe selon lequel on met des micro-ordinateurs familiaux peu puissants en présence de jeunes enfants (dans les écoles primaires) et des matériels plus puissants "semi-professionnels" (*) avec des élèves plus âgés (dans les lycées notamment) nous semble profondément injuste et absurde . Plus les enfants sont jeunes et plus les matériels doivent être faciles à utiliser donc dotés de fortes capacités. Il serait temps que l'Education Nationale le comprenne.

Mais il y a plus grave. Alors que chacun d'entre nous est encouragé à se comporter en consommateur avisé de façon à pouvoir bénéficier de la libre concurrence, ce qui nous amène à examiner attentivement les offres com- merciales qui nous sont faites; voire si la dépense est importante à poser quelques conditions au vendeur, on reste pantois devant le fait qu'une fois de plus, la puissance publique semble acheter des quantités importantes de matériels sans fixer ses conditions.

Un marché de l'ordre de plus de100 000 micro-ordinateurs aurait peut-être pu entraîner des exigences précises sur le modernisme et la qualité des matériels livrés. Or que voit-on ? La livraison de modèles standards grand public, aux caractéristiques certes honorables, mais tout à fait inaptes à assurer la moindre utilisation de logiciels de type professionnel (traitement de texte, gestion de bases de données, mise en réseaux locaux de type bureautique, etc.). L'affaire deviendrait presque cocasse, sauf pour les contribuables que nous sommes, lorsque l'on sait que THOMSON (le fournisseur des micros familiaux) va être obligé de sortir un nouveau modèle (TO 9 ?) pour tenter de rivaliser (et de survivre dans ce secteur) aux offres de firmes comme Atari ou Commodore, toutes basées sur les fonctionnalités du Macintosh d'APPLE.

Si ce principe était suivi jusqu'au bout; une fois de plus l'Education Nationale aurait hérité de matériels dépassés. Et nous n'aurions même pas la (piètre) consolation de voir notre constructeur national éponger son déficit grâce à cette opération (*). Quand aux emplois "créés " à cette occasion, ils ne risquent pas non plus d'infléchir les courbes du chômage.

Alors pourquoi ?. Pourquoi n'a-t-on pas publié de cahier des charges et d'appels d'offres prenant en compte les objectifs précités, tels l'ouverture des ateliers au grand public pour une utilisation "professionnelle", sans s'encombrer des seules initiations au BASIC, lequel comme tous les langages ne devrait être abordé qu'après avoir essayé de résoudre son problème avec tous les autres outils dont on dispose aujourd'hui (progiciels horizontaux ou transversaux). Pourquoi avoir négligé la dimension télématique dont au moins un constructeur français (CIT ALCATEL) présentait une configuration intéressante et opérationnelle (*). Pourquoi aussi avoir refusé d'examiner des accords de fabrication sous licence avec un leader mondial (par exemple APPLE, ou même IBM, si l'on jugeait politiquement utile cette alliance), ce qui nous aurait peut-être assuré des transferts de technologie fructueux et vraisemblablement des parts de marché mondial non négligeables (*). On peut rappeler à cette occasion que de nombreux produits aujourd'hui cités pour illustrer la compétitivité française (entre autres les centrales nucléaires) ont commencé par être fabriqués sous licence. Pourquoi enfin avoir introduit précipitam- ment le standard IBM sans s'interroger sur les évolutions importantes en cours en matière de standards mondiaux de micro-informatique. Pourquoi enfin ne pas avoir exprimé les raisons ou les motivations des choix effectués et d'avoir gardé un secret toujours douteux, alors que dans le même temps, l'on peut avoir connaissance de certaines décisions en matière de matériels militaires ?…

Quand au plan de formation et aux logiciels utilisés, on a un peu l'impression qu'ils font la part belle aux logiciels "familiaux" , dont chacun sait qu'ils ont encore beaucoup de progrès à accomplir pour être vraiment efficaces (sans compter des problèmes ergonomiques ou de fatigue occulaire des jeunes enfants).

Un espoir ?

Ce faisceau de critiques ne doit cependant faire oublier qu'à la base, il y des passionnés de l'informatique pour tous, des enseignants, des animateurs, mais aussi des industriels, des élèves, des pré-retraités qui conservent intactes leurs capacités de mobilisation pour tenter de participer à une modernisation réussie et à un "jaillissement de l'esprit" (*) ou de la ressource humaine.

Il n'est pas trop tard, la première vague de matériels est commandée, mais les suivantes ne le sont pas encore fermement.

Le marché mondial de la micro-informatique évolue et la perspective de concilier un grand projet démocratique et efficace sur l'usage des tech- nologies de communication, allant de pair avec la modernisation industrielle, sociale et culturelle n'est pas encore éteinte; d'autant que la télématique française, un peu à la recherche de son second souffle pourrait trouver avec ces ateliers informatiques et télématiques l'occasion de prendre une avance non négligeable dans la compétition internationale (*).

 

 

 

Jean-Luc MICHEL

Décembre 1984

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Commentaire

Cet article d'humeur n'est évidemment pas paru dans la revue L'Ecole libératrice (350 000 exemplaires). D'abord parce qu'il était trop critique contre le pouvoir d'alors et aussi parce que je ne voulais pas tuer l'espoir que certaines personnes mal informées avais mis dans le "plan Fabius".

Cette période peu connue n'est pas à la gloire des politiques et des technocrates. Malgré le soutien de Gaston Defferre, de Pierre Bérégovoy et du président François Mitterrrand, on préféra la solution française (Thomson, Bull et quelques autres) qui diffusèrent leurs technologies dépassées pourtant en partie payées par le contribuable.

L'usine qu'Apple devait construire en Bretagne (c'est aujourd'hui celle de Cork en Irlande) ne s'est pas faite. Et l'Education nationale n'a pas bougé d'un iota. Aujourd'hui, la situation n'a guère évolué !!!

Dans une thèse, soutenue en 2001, et dans l'ouvrage qui a suivi, publié chez l'Harmattan en 2002, Bernard DIMET a étudié cette période. Il consacre un chapitre entier à ce fameux plan et rend compte de mes activités d'alors.

Le lecteur pourra juger sur pièce de l'avance du projet que j'avais eu la chance de préparer pour Gaston defferre et JJSS dans l'extrait d'une des notes techniques remises à son cabinet et transmises aux autres décideurs en charge du dossier. Cette note a été laissée danss on état d'origine avec toute l'extravagance typographique qui caractérisait alors ceux qui découvraient les infinies possibilités du Macintosh !!

A titre de curiosité historique, le lecteur intéressé pourra trouver le fac simile exact (sans retouche !) d'une des notes techniques que j'avais rédigée pour le cabinet de Gaston Defferre. On y admirera (sic !) les fantaisies et les outrances de typographie que les pionniers de l'époque (dont j'étais) y plaçaient. C'était l'époque héroïque, la "libération" de l'informatique de masse. Le dossier défendait le Mac en usant du Mac !!

En 2006, j'ai créé un site qui raonte en détail toute cete aventure.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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