APPLE   PASSION
 
 


EN 1983, toujours au Sicob (j'y passais la journée complète et bénéficiai des invitations presse grâce à mes articles dans la Revue l'Education puis dans l'Ecole Libératrice dont le tirage atteignait 350 000 exemplaires), un nouveau choc m’attendait : Apple venait de sortir le Lisa. Un écran plus petit de l'ordre de 12 ou 13 pouces, un disque dur de quelques mégaoctets, mais surtout, cette fabuleuse interface graphique, métaphore du bureau qui reprenait à la fois les concepts du Dynabook ou de Xanadu de Ted Nelson, les rêves d’Alan Kay et de Smaltalk et la technologie de Xerox, mais en plus petit et beaucoup moins cher : “seulement” 100 000 F. C'était fabuleux, mais évidemment encore beaucoup trop cher pour la cible visée qu'Apple allait bientôt appeler les “Travailleurs du savoir”.


Heureusement qu'Apple avait gagné immensément d'argent avec l'Apple 2 et les produits dérivés. Qu'on imagine : En visitant le Palo Alto Research Center (le PARC) de Xerox qui regroupait de très brillants ingénieurs à qui la direction de cette entreprise, elle aussi très riche (les royalties des brevets de la photocopie coulaient à flot), avait demandé d’inventer des objets électroniques pour le plaisir, sans considération de prix de revient, de “faire rêver” de futurs usagers (Cocteau leur aurait dit “Etonne moi !”, Steve Jobs découvrit peut-être à cet instant que l'avenir de l'informatique était là : un outil prodigieusement simple. Plus besoin de l'écran noir du DOS et des ses lignes de commandes à apprendre et mettre en œuvre à chaque fois. Plus besoin d’un code pour faire démarrer l'ordinateur (ah… les charmes du “6 Ctrl P” pour mettre en route l’Apple 2).


Steve Jobs le plus extraordinaire visionnaire de l'informatique (en compagnie de son compère Steve Wozniak, “l’ingénieur”, à gauche sur les photos) allait nous mettre à disposition ces outils fantastiques, nous affranchir de la pesante tutelle des informaticiens, personnifiés à l'époque par Big Blue, alias IBM (aujourd'hui le combat continue… contre Microsoft, présenté comme le “côté obscur”), nous fournir un support à la créativité, faire évoluer les mentalités sur le travail en rendant plus autonome et plus accompli chaque être humain qui avait la chance d'en disposer. Une des publicités de 1984/1985 proclamait “qu'il était temps qu'un capitaliste fasse une révolution”. La mentalité “Côte Ouest”, libertaire, émancipatrice était à l'œuvre. Une autre pub disait avec une incroyable justesse “Jusqu'à présent, il fallait que l'homme s'adapte à la machine, nous [Apple] avons appris l'Homme à la machine…”. Inversion géniale qui ruinait le pouvoir des “technologues” en ne donnant aux acteurs considérés comme créatifs et intelligents. Pour ceux qui douteraient de ceci, j'ai vu - de mes yeux - l'introduction des premiers macs dans des secrétariats dans les années 80/90 : la révolution ! Et j'ai vu aussi le reflux avec le retour des PC. Je le développerai un jour.


Jobs “acheta” une partie de l'équipe qui, en travaillant d'arrache pied, allait sortir le Macintosh en 1984. Mais avant d'en arriver à cette date fondatrice, il faut dire que le Lisa fut un échec total. Seulement quelques exemplaires vendus en France. Fascinant mais trop cher ! Heureusement qu'Apple avait des réserves pour financer une recherche développement très onéreuse - sans savoir s'il y avait un marché ! - supporter un échec commercial complet, financer une nouvelle recherche, et vendre des Macintosh moins cher que leur prix de revient pour créer ce marché auquel il croyait, contre tous les avis des experts, économistes ou cabinets d'études prospectives. Pour comprendre la mentalité de l'époque il faut savoir que les gens “sérieux” de la grande informatique pensaient que la souris serait toujours un gadget, et qu'elle ne serait jamais utilisée professionnellement. Dans le genre, il faut dire qu'un brillant "spécialiste" français des nouvelles technologies allait déclarer en 1985 que “le Macintosh était un produit dépassé” ! C'est grâce à ce genre “d'experts” que nous prenons toujours ou presque les mauvais trains du développement.


Au SICOB de 1984, je vis enfin le Macintosh (128 KO de mémoire vive et des disquettes de 400KO). Le CHOC ! L'émotion - Et comme j'avais un peu de budget (mais aussi la passion), j'achetai la plus belle machine de ma vie. Un soir de septembre, avec ma compagne, je pouvais déballer le mac, pousser sa disquette dans le lecteur… et m'en servir immédiatement : MacWrite, un traitement de texte avec des enrichissements de polices, des titres bien visibles à l'écran, etc. Un logiciel pour faire des schémas, le fameux MacPaint de Bill Atkinson, un des plus grands développeurs de ces années puisqu'il inventa en 1987 le célèbre Hypercard, qui ouvrait la voie au web avec 12 ans d'avance ! (sans oublier Quickdraw et toutes les routines graphiques reprises dans OS X)  Les boutons, les liens hypermédias repris par Mosaïc en 1995/96, c'est lui. Et Apple une fois de plus, en avance sur tout le monde ! Fort de ses succès Bill Atkinson s’est depuis reconverti dans la photographie avec de magnifiques clichés (et des ruses pour tirer le meilleur parti de nos imprimantes photo)…


Avec un lecteur de disquettes externe et une excellente imprimante matricielle, la facture atteignit 25 000 F (environ 4000 €). Certes, ce n'était pas donné, mais trois ans avant c'était un million de F !

Il faut bien comprendre une chose fondamentale, saluée par Peter Drucker : en vendant ses premiers macs moins cher que ce qu'ils lui coûtaient, Apple prenait un risque considérable, bouleversait les lois industrielles classiques… mais parvint à créer un marché en s'appuyant sur ses premiers clients - j'en fus - pour “évangéliser” ceux qui ignoraient ce que cette nouvelle informatique pouvait apporter. Et ce projet fou marcha, les ventes décolèrent, et Apple regagna beaucoup beaucoup d'argent. Les macs des années suivantes, vendus au même prix, lui assurèrent des marges énormes… jusqu'au cycle d'innovation suivant.


La concurrence de l'époque, d'une part les vieux systèmes CPM et équivalents, et de l'autre, IBM qui avait sorti son “PC” en 1981/82 étaient loin, très loin derrière. Le plus extraordinaire, c'est que plus de 20 ans plus tard, Apple garde toujours de l'avance sur ses concurrents. Vista de Microsoft parvient enfin à faire en 2007 (et assez lourdement) ce que le système X fait depuis 2002/2003.


Dès lors, je n'ai plus jamais quitté Apple, sa qualité, son design, son innovation. C'est une compagnie qui fait avancer le monde. Chaque jour, au fil des machines successives, je retrouve le même plaisir à y revenir. Dès 1985, Microsoft, à l'époque, tout petit et allié d'Apple contre IBM sortit Multiplan, successeur graphique de Visicalc : Quel plaisir que de déplacer des cellules à la souris ! Multiplan fut aussi l'ancêtre de notre Excel actuel. Les fonctions essentielles sont absolument les mêmes qu'aujourd'hui. Dans le domaine des interfaces le progrès sont lents, et ce n'est pas Microsoft qui, bien qu'immensément riche, les fait progresser. C'est là une des différences avec la vision d'Apple. Microsoft ou Dell sont des entreprises classiques qui cherchent juste à gagner de l'argent (ce n'est pas répréhensible, mais pas exaltant non plus). Apple veut faire progresser l'humanité. Et ce n'est pas “que” de la pub, c'est une réalité qui se démontre depuis 30 ans. Si je reprends ma casquette de spécialiste des médias (et de la pub) je dis que la pub Apple est toujours en cohérence avec ses valeurs, son identité, sa vision et ses produits. Un site présente l’historique des principales publicités.

On peut voir et revoir le célèbre spot de Ridley Scott en 1984 qui présentait le Macintosh, élu par le public américain comme LE spot publicitaire du siècle.

Mais la plus grande révolution survint en 1985 avec les logiciels vectoriels, comme MacDraw, qui apportait la représentation vectorielle toujours utilisée de nos jours. MacPaint voyait un rectangle comme une figure statique (impossible de la retoucher). Macdraw comme une formule indiquant des coordonnées et diverses variables, d'où la facilité de faire des retouches. La logique des calques (de Photoshop) était là. L'autre innovation majeure fut la PAO (publication assistée par ordinateur) avec MacPublisher, l'ancêtre de Xpress et de InDesign (tous deux créés POUR le mac !) avant d'être portés sur PC), le langage Postscript d'Adobe et les premières imprimantes Laser. Là encore Jobs créa le marché. Aujourd'hui la PAO est fondée sur les mêmes principes, avec en plus la récente arrivé du pdf, inventé par Adobe dont les premiers développements ne se faisaient que pour le mac. Les premiers pas d'Adobe ont été faits grâce au mac.

On pourrait en dire autant du secteur de la vidéo et aussi du son, dans lesquels le Mac est incontournable. Les plus grands effets spéciaux du cinéma recourent au mac, les compositeurs l’utilisent également. Bref, les créatifs ou les créateurs…








 
UN GRAND moment !!

Mon fils, alors âgé de 4 ans, dessine un sapin de Noêl avec Mac Paint (de Bill Atkinson).

Mon MacPlus de 1985. Temps de chargement de Word 3 en mémoire vive : 2 secondes grâce à Speedy, génial gestionnaire de mémoire vive ! Et en plus il parlait et parle toujours… L’exemple choisi était le discours de Lincoln à la bataille - décisive de Gettysburg en 1863, un des plus grands discours de l’histoire des USA : "Il y a quatre-vingt-sept ans, nos pères ont fait naître sur ce continent une nation nouvelle, conçue dans la liberté et vouée à la proposition que tous les hommes sont créés égaux.  Nous sommes actuellement engagés dans une grande guerre civile qui décidera si cette nation, ou toute nation ainsi conçue et ainsi vouée, peut perdurer.

Bill Atkinson est à droite avec le mac sous son bras. Les créateurs du mac ont littéralement “signé” leur œuvre en gravant leurs noms à l’intérieur du capot ! Il faut aussi ne pas oublier Jeff Raskin, un des principaux concepteurs du mac. Cette photo fut commentée lors de la keynote 2004 de Jobs.

L’image symbolique du spot “1984

Lors de la keynote 2004 Jobs le repassa en présence de Ridley Scott.

Mon Mac Plus en parfait état de fonctionnement…

Steve Jobs dans ses jeunes années. Millionnaire en dollars à 25 ans.

Mais l’argent n’est pas sa passion. Salaire à Apple : 1 dollar par an depuis 1997.

Le PARC était géré de manière très particulière : recrutement par cooptation unanime, repas et obsession de l’innovation qui ne séparait pas le matériel du logiciel. L’erreur et l’incertitude étaient acceptées, un peu comme chez 3M.