APPLE   PASSION
 
 

J'abrège mon histoire avec Apple parce que la période récente est mieux connue.


J'ajouterai juste quelques anecdotes, racontées ailleurs, notamment dans l’excellente thèse que Bernard Dimet a consacrée à cette période et à l’ouvrage qu’il a publié dans la foulée : La plus impressionnante reste ma rencontre avec Steve Jobs en novembre 1984, où pendant quelques jours (trop peu nombreux !) je fus considéré comme LE décideur de l'opération "Informatique pour tous". J’étais le conseiller technique du Syndicat National des Instituteurs (SNI) à l’époque de sa toute puissance, sa revue l’Ecole Libératrice tirait chaque semaine à 350 000 exemplaire et j’occupais la fonction de chef de la rubrique Informatique et médias.


Jobs et Sculley m'expliquèrent avec conviction les fantastiques capacités du mac - ils ne savaient pas que j'étais déjà un convaincu puisque j'en avais un chez moi depuis deux mois ! Jean-Louis Gassée, le patron d'Apple France était là aussi et je m'appuyais sur lui pour me faire traduire les passages dont je n'étais pas absolument sûr (il faut dire que chaque soir, j'avais les coursiers des ministères qui passaient chez moi récupérer les notes techniques que je rédigeai pour les directeurs de cabinet ou leurs ministres). Il y avait aussi le génial Laurent Ribardière, l'auteur de ABC Base un programme de gestion de fichiers absolument fabuleux, devenu ensuite… 4D (ou 4ème Dimension) au succès mondial. A mesure que je demandai si on pouvait faire ceci ou celà, par exemple, dans la saisie d'un fichier, ne pas toujours retaper les données qui reviennent sans cesse, par exemple les éditeurs dans un fichier bibliographique, Ribardière arrangeait quelques lignes de code pour me satisfaire (il m'offrit ensuite une version personnalisée avec cette fonction - aujourd'hui encore difficilement introuvable dans les usines à gaz que sont devenus les logiciels de gestion de fichiers (on l'appelle saisie préemptive, mais nous étions en novembre 1984).


Comme j'avais rédigé un cahier des charges très strict pour les matériels et les logiciels destinés aux élèves et aux enseignants français, je demandai à Jobs des précisions sur l'architecture et les performances du réseau, déjà appelé Apple Talk. Ce fut un festival : connexion de deux macs, reconnaissance immédiate entre eux et envoi d'un message (on ne disait pas trop email dans le grand public). A ma grande surprise, je revis le coup de l'enveloppe qui partait d'un côté de l'écran et entrait sur l'autre écran, comme avec Star de Xérox, mais avec un prix divisé par 400 !!!


Jobs et Sculley, mis en confiance par mes questions et par l'arrivée de Jean-François Boisvieux, le conseiller informatique de Jean-Jacques Servan-Schreiber se lancèrent dans un festival éblouissant sur leur avance technologique, leur capacité à maîtriser l'intégration matériel/logiciel. Pendant qu'ils parlaient ils jouaient à la balle avec une carte mère de Macintosh pour montrer sa légèreté, sa robustesse; mais aussi son design, l'économie de moyens qu'elle symbolisait.


Jobs nous parla de sa vision d'une informatique qui devait libérer les gens. A ce moment là je n'avais pas vu le célèbre spot de Ridley Scott sur 1984 d'Orwell et le mac. Avec le recul, je perçois mieux la cohérence des discours. Il insista sur la créativité, sur la liberté que l'informatique - la sienne - allait apporter au monde. C'était frappant, il était certain qu'il allait changer le monde (on retrouve le "Il était temps qu'un capitaliste fasse une révolution"). Je me dis ce jour là qu'il y avait du génie dans ses propos. J'appris quelques semaines plus tard, par JJSS que François Mitterrand, en le rencontrant en présence de Gaston Defferre dans la Silicon Valley aurait affirmé que Steve Jobs était un génie. Si cette phrase est vraie, venant de Mitterrand, je la trouve incroyablement appropriée. Depuis septembre 2006, Google News Archives permet de retrouver cette citation dans la presse américaine.

Le projet fut plusieurs fois cité aux USA et en Grande Bretagne ainsi que dans toute la presse française. Françoise Giroud l’évoque aussi dans un de ses livres.

Dans ce site personnel, je retrace la triste fin de cette belle histoire. De petites compromissions en manque de courage et de vision, l’Education nationale fut incapable de s’inscrire dans ce grand projet. La montagne accoucha d’une souris, l’alliance avec Apple abandonnée et la solution franco-française avec Thomson et Bull préférée. On voit l’intelligence de ces décisions, : Thomson et Bull ne font plus d’ordinateurs, l’Education nationale est toujours en retard d’une réflexion et d’une action. L’enthousiasme est parti… Heureusement, Apple, la “société en laquelle on ne pouvait mettre sa confiance” comme le déclarait le “chef de mission aux technologies nouvelles” du ministère de l’époque (sinistre incompétent !) est toujours là 20 ans plus tard, plus forte et innovante que jamais.


Les questions financières furent réglées en quelques instants, j'en témoigne ici pour l'histoire de l'informatique dans l'enseignement : Jobs accepta l'idée d'un mac spécial équipé en 256 KO (le double du standard, mais pas 512 KO qui aurait été trop cher). pour une commande de 100 à 150 000 unités, le mac descendait à 10/12 000 F (Cf. la note que J.F Boisvieux m’avait adressée)

J’ajoute enfin que le futur système X était en germe dans mes notes techniques lorsque je préconisais qu’avec cette alliance (entre la France et Apple) il serait possible de mettre au point un système d’exploitation encore plus efficace “alliant la puissance d’Unix et la convivialité du Macintosh”. Extrait de la note technique de novembre 1984 au cabinet de Defferre ici (en particulier le paragraphe 3.2). Cette idée est devenue réalité avec le système d’exploitation Next puis OS X. Pas mal joué en 1984 pour deux “conseillers techniques, J.F. Boisvieux et moi” !! La fréquentation de JJSS avait développé un côté visionnaire, malheureusement pas entendu par les institutions.


Des infos supplémentaires sont disponibles sur mon site personnel.

John Sculley m’adressa un courrier pour me remercier de mon implication dans ce dossier.

Ma grande chance, dans cette aventure, fut de pouvoir proposer le cahier des charges complet de l’opération en l’appuyant sur des finalités générales, “validées” à l’époque par Defferre et Mitterrand. Ces finalités reprenaient mon approche de l’Education médiatique, que je croyais alors (la belle naïveté !) pouvoir apporter à l’Education nationale pour que celle ci entre dans la modernité et retrouve un rôle moteur, un rôle central dans la société. Il faut dire que des articles diffusés chaque quinzaine à un aussi grand nombre d’exemplaires me faisait croire que le projet allait passer. C’était compter sans la frilosité, le corporatisme et les réseaux de pouvoir.

Aujourd’hui, en 2007, l’enthousiasme pour les “nouvelles technologies” est très loin derrière nous. La grande machine l’a broyé, comme le reste. Mais, quand on voit la créativité d’Apple et celle qu’elle exploite ou induit, on se prend à rêver de ce que pourrait donner une approche française - ou européenne - de l’intelligence éducative, forme moderne de l’emploi des technologies de l’intelligence. Décharger l’enseignement de ses tâches routinières, de la plus grosse partie de l’évaluation et lui permettre de se recentrer sur la construction des connaissances, leur mise en relation et l’entraînement au travail créatif et collaboratif pourrait constituer un nouvel horizon.


Aurons nous des responsables plus clairvoyants, où saurons nous mieux nous mobiliser nous mêmes, et dans quel cadre ?



Vous pouvez réagir sur un blog associé à ce site.






 
Le plan “informatique pour tous de 1984”

Steve Jobs lors d’une de ses “Keynotes” (présentations annuelles des nouveautés Apple. Une leçon de communication ! Un site archive une partie de ses Keynotes

Jean-Jacques Servan-Schreiber (à gauche). Le fondateur de l’Express - et de la presse hebdomadaire française - avec des enfants découvrant l’Informatique dans son Centre Mondial pour l’Informatique et la Ressource humaine. J’ai eu  l’honneur de travailler quelques semaines avec lui. Un souvenir inoubliable. Une leçon d’intelligence. Et hélas, une carrière politique très courte…


COMMUNIQUE DU

10 NOVEMBRE 2006

JJSS est décédé ce lundi 6 novembre 2006.

Je tiens à rendre hommage à ce personnage extraordinaire que j’ai connu en 1984/1985.

Quelques heures passées avec lui m’ont marqué pour la vie. Comme d’autres l’ont dit mieux que moi, JJSS vous rendait important, vous forçait à être intelligent. J’ai le souvenir de mon premier rendez vous avec lui, seul à seul, un soir dans son bureau du Centre Mondial : Je n’ai jamais été aussi impressionné. A mesure que je parlais (de ce que je souhaitais pour ce futur plan IPT), il me scrutait, me passait au scanner. A la fin de l’entretien, je compris que j’avais “réussi” une forme d’examen bien particulier : il avait compris que j’avais une vision pour l’avenir, une finalité pour ce plan. Il ne s’agissait pas que d'ordinateurs mais de l’éducation médiatique des jeunes Français.

Je le revis souvent (il m’invita dans un jet privé), je connus son stress, son talent oratoire, son charisme et son côté : ne perdons pas de temps, l’avenir dépend de nous.

En tous points, ce fut une rencontre éblouissante. Je vais la raconter dans une autre page.

Mais je tenais à rendre un hommage immédiat à une des plus brillantes intelligences que j’ai rencontrées. Un homme qui aurait pu nous faire gagner à tous, Terriens, tellement d’années dans l’évolution de la société. Il venait de l’avenir comme l’a dit une de ses compagnes, et malheureusement, nous avons préféré, comme presque toujours, la paresse, la faiblesse, les compromissions, l’absence de courage ou la bêtise…

Heureusement, son exemple, à lui seul, est assez motivant pour reprendre le flambeau et croire que l’avenir reste ouvert à l’utopie et au progrès de l’intelligence.


L’innovation continue toujours. Deux powerbooks. A gauche un “Aluminium” de 17 pouces. A droite un Titanium de 15 pouces, une borne Airport Extreme et un disque dur La Cie de 250 GO ainsi qu’une petite tablette Wacom (pour les travaux de retouche photo).

Ce plan “IPT” (dossier de 160 pages contenant du texte, des graphiques et des calculs financiers) fut évidemment réalisé sur le Mac 128 avec MacWrite, MacPaint et Multiplan. Pour illustrer la fantastique continuité de respect des données personnelles, j’ai rassemblé sur un écran (copie disponible en pdf grand format) la liste des fichiers avec leur date de modification de 1984 (!) ainsi que leur ouverture et exploitation dans Word 5.01, le tout sous Classic avec Tiger 10.4.6, le dernier cri de l’OS en avril 2006, cf, le Dock assez copieux en bas d’écran !). Tout cohabite. on peut lire les fichiers et les travailler dans Word 5 - à l’ancienne - dans un Word 11 plus récent - et confortable - ou dans Pages d’Apple (en passant auparavant par le format d’échanges .rtf).

Pour un document de novembre/décembre 1984, la mise en page est correcte, et la lisibilité typographique assez soignée (!). Ce document était destiné aux ministres et directeurs de cabinet.