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Jean-Luc Michel

Que reste-t-il de nos espoirs ?

(après la destruction de 50 années de construction européenne)

 

Le résultat du référendum du 29 mai 1005 sur le projet de traité constitutionnel a donné pas loin de 3 millions de voix d’avance aux partisans du non.
Si ce n’était dramatique pour l’Europe, pour la paix et la prospérité de la France, on pourrait sourire comme beaucoup d’étrangers le font en se rappelant de notre morgue en toutes circonstances.
Sourire devant les doctes analyses de tous ces Diafoirus, apprentis juristes ou politologues qui se penchaient gravement sur les moindres sous articles et annexes alors qu’ils ne lisent même pas jusqu’au bout leurs contrats personnels d’assurance. Le texte était destiné à des spécialistes – qui plus est, dans 25 langues différentes. Et dans ce genre de traité, c’est l’esprit qui compte, on l’a bien vu avec Maastricht. Les élus et les commissions fabriquent la jurisprudence. C’est leur travail, pas le nôtre. Sauf à être des bricoleurs du droit constitutionnel.
Sourire devant le vote des ruraux… qui vivent en grande partie grâce aux subventions européennes. Et qui vont hélas les voir baisser peut-être rapidement…
Sourire devant un président qui a usé de toutes les ficelles de la démagogie, de l’irresponsabilité, de l’inconséquence (« c’est la faute à l’Europe ») et de l’incompétence en ne rappelant pas la hauteur des enjeux, notamment pour la paix entre les nations qui n’est jamais acquise quoi qu’en disent ceux qui ont déjà oublié ce que vécurent leurs parents et leurs grands parents.
Sourire devant la bêtise des phrases (je n’ose dire des arguments) du « Non de gauche » qui n’est que celui de la vieille extrême gauche qui refuse l’économie de marché et rêve encore du grand soir… et des petits matins de la bureaucratie stalinienne, de la misère de la sous consommation et de l’égalitarisme imbécile qui tue toute création de l’esprit humain.
Sourire devant les idées usées jusqu’à la corde des nationalistes (qui s’auto intitulent souverainistes pour essayer de paraître moins archaïques…).
Ne figurent pas dans cette liste les (rares) arguments sérieux contre la constitution, par exemple le fait que ce texte permettait encore et toujours de rejeter sur l’Autre (éternel) ses propres irresponsabilités, qu’il n’insistait pas assez sur le volontarisme exceptionnel de cette aventure unique dans l’histoire humaine, ou encore qu’il n’en faisait pas assez en matière de démocratie participative.
En gros, cette cohorte hétéroclite, vieillotte, sans idées, sans perspectives, fermée, repliée sur ses petits privilèges ne manifestait que la peur, peur de l’avenir et peur de l’autre (le plombier…). Elle pouvait regrouper dans les 30% de l’électorat, ce qui est certes beaucoup, mais pas suffisant.
Malheureusement, on a vu le résultat : environ 55% des suffrages exprimés contre cette tentative courageuse et unique dans l’histoire de se construire un avenir commun. Et comme les circonstances d’approbation ressemblent à l’envoi de fusées aux confins du système solaire, la prochaine fenêtre de tir (à condition qu’il y en ait une autre…) n’est pas pour demain. D’où les comptes qu’il faut demander aux responsables politiques de cet échec.


Tristesse et colère


Voyons d’abord les populations des régions concernées réellement par les délocalisations (d’ailleurs beaucoup moins européennes que mondiales, cf. le textile… et pas encore si nombreuses que cela, heureusement). Ceux qui sont licenciés pour ces raisons auraient eu des motifs sérieux d’avoir peur, même si en toute logique ce devrait être le rôle primordial de l’Etat de les protéger, quitte à en remettre d’autres sur le marché du travail comme l’ont fait la plupart des pays développés. Ce ne sont pas les salariés délocalisés les responsables du non. Ils sont trop peu nombreux et leur désarroi les excuse. Alors, qui porte la responsabilité de ce drame dont nous ne voyons pas encore toutes les conséquences sociales, économiques et culturelles ? Doit on être triste ou en colère devant tant de gâchis ?
Tristesse d’abord devant l’absence de perspective et de souffle de ceux qui ont fait l’Europe, qu’ils soient à gauche (Delors) ou à droite (Giscard d’Estaing). Il est vrai que leurs bons camarades de parti n’avaient pas trop envie de leur faire ce cadeau, en particulier Chirac qui continue de démolir tout ce que construit Giscard. Où sont les arguments que Mitterrand auraient employés, où est le rappel historique, le sens, la vision ? Il est vrai que le facteur déclare que les rappels à la seconde guerre mondiale sont devenus inutiles (Munich, Hitler connais pas, peut-être ?)
Tristesse devant le décalage des intellectuels. Ils ont essayé de se faire entendre, mais ils étaient perçus comme ceux d’en haut. Qui aura le courage de dire à ceux d’en bas de se secouer, de combattre l’adversité et de progresser sans tout attendre de la société (avant de te demander ce que ton pays peut faire pour toi, demande toi ce que tu peux faire pour ton pays, comme le disait Kennedy). Il nous manque Victor Hugo pour montrer que le peuple conserve toujours sa dignité et qu’il peut toujours se dépasser et changer sa condition, qu’il n’y a jamais de déterminisme absolu, contrairement à ce que nous serinent les adeptes de Bourdieu qui ne font eux mêmes que mal répéter Zola.
Tristesse et colère contre Chirac qui a pris – comme d’habitude – les plus mauvaises décisions (mauvaise campagne, mauvais calendrier, mauvais arguments, mauvaise communication, amnésie quant au sens de son élection surprise, limitations des réformes sitôt qu’elles heurtaient le moindre conservatisme. Soyons clairs, je n’aurais pas « voté » Raffarin, mais son bilan est relativement positif compte tenu des circonstances françaises, de nos glorieuses exceptions (qui ne vont plus peser bien lourd maintenant que nous serons seuls à les défendre) et de son patron, incapable de donner un cap et de s’y maintenir. La seule consolation – mais à quel prix – sera que la place historique de Chirac, loin derrière De Gaulle et Mitterrand, et même Giscard ou Pompidou sera celle du plus mauvais président de la Cinquième. A ce propos, je pense qu’il serait de salut public que de lui voter une loi d’impunité définitive pour qu’il puisse enfin quitter le pouvoir… ou ne pas tout faire pour se poser en recours et briguer un troisième mandat en poussant tout le monde à la catastrophe. Laissons lui une retraite tranquille pour qu’il médite sur ses erreurs et ses chances gâchées.
Tristesse devant le PS qui n’a jamais su lui non plus trouver le ton historique qu’il fallait ni se lancer dans un positionnement résolument réformiste, une voie s’inspirant de Blair et Schroder (je n’ai même pas envie d’ajouter « mais respectant l’identité française » car ce genre de considérations en ce moment de notre histoire semble plutôt dangereux car nationaliste, et je n’ai pas envie de le rapprocher de socialisme).
Colère devant Fabius qui pour des calculs tactiques (s’imposer comme le seul présidentiable, faire voter toute la gauche pour lui… puis la trahir et l’exécuter ensuite) a osé détruire ce que son mentor n’a eu de cesse de construire avec une force, un talent et une conviction que l’histoire lui reconnaît déjà. En éternel adolescent insouciant, il a attendu 50 ans pour tuer le père, dommage qu’il ait eu la peau de l’Europe en même temps et nos rêves avec. Quant aux autres leaders du PS, que font ils encore dans ce parti ? Qu’ils aillent ou retournent vers l’extrême gauche, ce sera plus clair (mais poins prestigieux pour eux et moins proche du pouvoir, seraient-ils tenus par l’ambition personnelle ?).
Tristesse enfin devant le vote des électeurs de gauche, les jeunes en particulier, qui se sont laissés manipuler sans rien comprendre aux enjeux. Certes, ils sont angoissés pour leur avenir et voulaient punir Chirac de la présidentielle, mais fallait il le faire sur le dos de l’Europe, ne pouvaient-il attendre 2007 ?
Colère froide devant le vote des fonctionnaires de gauche (essentiellement manipulés par Attac et ses satellites) qui eux n’ont rien à craindre pour leurs emplois, mais qui craignent peut-être un peu plus de pression sur leur travail (on a vu les réactions avec la réforme des 35 heures) et ont le culot de proclamer qu’ils veulent défendre les services publics (en insistant sur le fait que cette belle appellation franco-française n’était pas assez présente dans le texte) alors qu’il s’agit avant tout d’étendre leurs intérêts catégoriels qu’ils font payer au prix fort à tous ceux qui sont durement soumis à la concurrence internationale. La belle manip en vérité. On se sert de ceux qui souffrent pour défendre ses positions corporatistes, et nos syndicats, qui sont les moins représentatifs d’Europe, en rajoutent sur le registre du risque du libéralisme ou de l’ultra libéralisme. Que veulent ils au juste ? l’utopie communiste ? Le socialisme réel ? Je suis de ceux à qui on a fait le coup que ça irait mieux la prochaine fois, que le système soviétique était bon quand même et que ses échecs étaient à imputer aux éternels autres, au complot international… Quand donc la gauche française acceptera-t-elle l’économie de marché, c'est-à-dire le libéralisme pour se recentrer sur la défense des salariés et pas sur la préparation du grand soir ? Socialiste, oui, c’est le moyen, le « véhicule » pour la justice sociale. Mais libérale avant tout, c’est sa finalité, son seul positionnement d’avenir.
La France se réveille de ce champ de ruines sans encore bien mesurer dans quelle dramatique situation elle s’est mise (cf. la presse internationale). Et en plus, pour en rajouter sur notre arrogance, certains des gagnants du non considèrent que nous tracerions la voie pour les autres, nous serions les éclaireurs… Dommage que les mêmes critiquent les USA de vouloir imposer leur conception de l’ordre mondial. Cynisme ou incohérence ?


La seule solution : revoter

A ceux qui se demandent « que faire ? », comment surmonter ce revers qui va nous coûter du temps et de la sueur (espérons le, sans les larmes…), on peut juste tracer quelques principes simples mais fondamentaux :
- Convaincre nos concitoyens qu’ils ont été abusés, qu’ils ont réagi un peu vite, qu’il convient d’examiner plus sereinement l’évolution de l’Europe, et symétriquement, mieux expliquer qu’il y avait un texte, un contexte et un esprit de ce projet
- Laisser le processus suivre son cours en Europe, ne pas dénier aux autres le droit de se prononcer au motif de ce que les Français auraient tranché pour tout le monde. C’est dangereux pour nous (le train pourrait nous laisser sur le quai s’il y a une large approbation de la plus grande partie des pays), mais ce sera pédagogique.
- Desserrer un peu le calendrier pour s’adapter aux consultations en cours.
- Tout faire pour maintenir le lien avec l’Allemagne et résister aux attaques de démantellement de l’Euro (certains demandent déjà d’en sortir…).
- Et surtout, avoir le courage de dire que le prochain président nous fera revoter ce texte (quelle honte y aurait il à le faire ?). Ceux qui s’y sont livrés dans d’autres pays sont ils des imbéciles ? Le nouveau président aura quelques semaines pour le faire et en sortira renforcé au plan politique et grandi au plan historique.
C’est notre dernière chance de ne pas sacrifier une génération

 

Jean-Luc Michel
2 juin 2005

 

 

 

Petites chroniques

Prenez vos distances !

Commentaire

 

Cet article est assez polémique, ça m'arrive lorsque les circonstances l'exigent.

Pardon à ceux qui ont voté NON, mais quand même, je ne trouve vraiment pas de raison sérieuse, sauf ceux qui ont perdu un emploi pour une délocalisation européenne !!!

L'Europe était notre dernière aventure, mais les politiciens de tous bords s'en sont servis comme épouvantail !

Si on ne la fait pas, on prend au minimum 20 ans de retard et des risques considérables.

La guerre peut toujours revenir. La période du référendum m'a rappelé ce que mon père me disait de Munich qu'il a connu… ou du pacte germano-soviétique.

Vous pouvez réagir !!

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