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Jean-Luc Michel

Le CDI, une base locale de données. Les réseaux pensants (2)

 

Après avoir défini le contexte dans lequel il convenait à notre avis de replacer le rôle des Centres de documentation et d'information, compte tenu des développements télématiques prévisibles, nous examinerons cette semaine plus en détail ce que pourraient devenir ces C.D.I. de l'avenir.

UN MEILLEUR SERVICE

Si l'on ne concevait un Centre de documentation et d'information qu'en termes de gestion de flux d'entrée et de sortie de documents, de recherches bibliographiques ou iconographiques, la décision d'utiliser un ordinateur ne devrait être prise qu'en considération de critères purement techniques tenant entre autres au volume des fichiers, au nombre de consultations et aux clés de tri... On s'en doutera, cette approche nous semble beaucoup trop réductrice, car l'introduction d'un ordinateur dans un C.D.I. devrait se concevoir en termes pédagogiques et éducatifs (1).

En fait, l'apparition de l'informatique risque de modifier le fonctionnement même du C.D.I. A ce titre, des expérimentations pourraient d'ores et déjà être engagées, afin d'étudier les relations du C.D.I., conçu alors comme un cœur pédagogique, avec le reste de l'établissement. Les possibilités propres à l'outil seraient dès lors pleinement utilisées: instantanéité, aide personnalisée, sélections multi-critères, recherche arborescente ou par mots clés, etc. On constaterait vraisemblablement de la sorte une augmentation en quantité et en qualité du nombre de questions adressées au système, notamment grâce à l'impact interactif du dialogue avec l'ordinateur (lequel demandera alors de préciser sa question et guidera son utilisateur dans sa recherche documentaire). Dans la configuration la moins élaborée, les questionneurs auraient seulement accès aux titres correspondant aux thèmes découverts au cours du dialogue de recherche, à l'exception de ceux des domaines voisins. Dans une configuration plus élaborée, demandant encore plus de place en mémoire centrale, il serait possible d'obtenir, outre les titres sélectionnés et leurs diverses références connexes, un résumé détaillé et des commentaires éventuels sur le sujet cherché, à l'instar de ce qui se pratique avec des banques de données professionnelles (2).

Le service rendu ne s'arrête évidemment pas aux consultations dans le C.D.I. local. Au micro-ordinateur chargé du tri et de la recherche rapide des références, on peut en effet adjoindre un serveur local et un modulateur-démodulateur (modem) (3). Ces appareils se chargeraient d'assurer la communication téléphonique avec d'autres systèmes télématiques simples, du genre des actuels minitels. Rien n'empêchera ces terminaux (pas même leur coût puisqu'ils seront gratuits...) de se voir installés en grand nombre dans les C.D.I. de tous les établissements d'une région, ou bien directement au domicile des élèves. Ceci constitue l'argument le plus important du point de vue d'un repositionnement obligatoire de l'institution scolaire dans ce que l'on a coutume d'appeler les sociétés post-industrielles de la communication. Cette évolution inéluctable offrirait entre autres attraits de pouvoir interroger de n'importe où, n'importe quelle base locale de données, que celle-ci se situe à l'intérieur d'un établissement scolaire ou à l'extérieur en concurrence directe avec l'école (4).

Les interrogations pouvant naturellement se dérouler depuis un autre collège, une autre école, mais aussi directement depuis le domicile des élèves... (5).

Science-fiction ? Certainement pas, puisqu'à l'occasion du récent colloque INFORMATIQUE ET ENSEIGNEMENT, le ministre des P.T.T. a officiellement annoncé son intention de mettre à la disposition de la région Nord-Pas-de Calais, un parc de 1 500 minitels gratuits destinées en premier lieu aux établissements scolaires. Une amorce de réseaux éducatifs semble ainsi ébauchée, à charge pour les enseignants de les nourrir, autrement dit de communiquer des informations ou des documents au serveur local (6) et d'initier (rapidement) leurs élèves à l'interrogation des banques de données, voire à les remplir...

Les C.D.I. et les réseaux pensants

L'informatique n'est qu'un réseau entre les hommes, mais c'est un réseau pensant… En d'autres termes, il s'agit d'un réseau qui ne transmet pas n'importe quoi, mais des données, du savoir, des connaissances qu'il faut trier, ordonner, classer, coder et décoder en ayant recours à des procédures que l'école ferait bien d'enseigner avant qu'il ne soit trop tard et que d'autres "manipulateurs" d'informations ne la suppléent d'abord, puis ne la remplacent ensuite...

Si chaque C.D.I. avait la bonne fortune de se trouver transformé en BASE LOCALE DE DONNÉES les utilisateurs de celle-ci ne se réduiraient pas forcément aux élèves de l'école ou à ceux des écoles voisines appartenant au même réseau. Profitons-en pour rappeler que les consultations se tarifient à la durée et non à la distance, ce qui ne pénalise nullement les établissements éloignés les uns des autres.

Outre les élèves, d'autres partenaires devraient être associées à ces futurs réseaux scolaires. Citons en vrac:

1) Les parents d'élèves, à la fois pour demander de l'information sur les activités socio-culturelles de l'établissement, ou sur des questions diverses d'ordre familial ou social, mais aussi, pourquoi pas, sur les formations dispensées, les débouchés locaux ou régionaux...

2) Les élèves et leurs enseignants, les premiers pouvant recourir à la messagerie électronique pour transmettre leurs travaux aux seconds.

3) Les enseignants entre eux: chaque serveur local leur permettra de connaître immédiatement des renseignements de toute nature, utiles à l'exercice de leur profession (BOEN, circulaires, publications. catalogues et commandes de films, téléchargement de logiciels, résultats d'enquêtes, etc.).

 

UN NOUVEAU RÔLE POUR LES C.D.I.?

Il semble donc que la fonction les objectifs et les méthodes d'intervention des Centres de documentation et d'information puisse se redéfinir en tenant compte de l'impact des nouvelles technologies de la communication et du rôle formateur du visionnement critique et de la manipulation de documents divers. Ce repositionnement viserait entre autres à :

1) Offrir aux élèves, à tous les élèves, et encore plus à ceux qui sont les plus culturellement démunis, un lieu d'acquisition des pratiques documentaires multimédia.

2) Les entraîner à une analyse critique des informations qu'ils reçoivent ou qui les assaillent grâce à des exercices de lectures plurielles, d'analyses de contenu d'articles, de livres, de photos ou de films...

3) Leur fournir des matériaux ordonnés qu'ils pourront à leur guise décoder et recoder selon leurs besoins, leur approche personnelle et leur niveau éventuel d'auto-réintégration culturelle.

4) Leur donner l'occasion de coder eux-mêmes une petite partie des informations, à destination de groupes semblables aux leurs (du même établissement, de la même classe) ou inconnus (autres écoles ou collèges)...

5) Les amener à un degré de distanciation suffisant, c'est-à-dire "libérateur" vis-à-vis des médias. Cette option s'inscrivant dans le fil de l'opération JEUNE TÉLÉSPECTATEUR ACTIF, en l'élargissant à l'information générale...

6) Donner une finalité plus grande aux travaux traditionnels d'expression individuelle ou collective, par exemple, une bonne enquête pourrait être mise à la disposition des autres élèves du réseau local ou départemental, via le serveur de l'établissement.

 

 

 

(1) cf. EL n° 20 du 5.3.83 et n° 22 du 1 9.3.83

(2) Comme par exemple le système QUESTEL de la société TÉéESYSTÈ MES qui contient 150 millions de références sur des sujets très divers jurisprudence des tribunaux, brevets internationaux de chimie, de mécanique, etc.). Le coût de la consultation atteint selon la rareté des informations, de 300 à 700 F de l'heure. La plupart des réponses s'obtiennent en une dizaine de minutes, soit pour un montant compris entre 50 et 100 F, ce qui apparaît cher pour une <` petite „ consultation, mais très modique pour une recherche bibliothécaire un tant soit peu importante.

(3) Un mini-serveur de puissance moyenne ne coûte guère plus de 40 000 F (il en coûtait 400 000 il y a dix ans...). Il demeure conseille de se regrouper pour utiliser un tel système ou bien d'attendre que les prix continuent de baisser... On doit de plus prévoir une " composeuse „ de textes et d'images videotex (un scripteur) dont on aura intérêt à louer l'exploitation en se repartissant son usage au plan academique ou départemental.

(4) cf. EL n° 4 du 8.10.83 page 12.

(5) cf. EL n° 16 du 28.1.84 page 12.

(6) Ceci semble d'autant plus vrai que le coût de l'informatisation complète des C.D.I. et celui de leur transformation en base locale de données apparaissent pour le moment encore asez élevés.

N°26 (5-5-1984)

 

Jean-Luc MICHEL

Mai 1984

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Articles de vulgarisation

Commentaire

Suite du premier article paru en avril 1984 dans la revue L'Ecole libératrice sur les CDI (Centres de documentation et d'information).

Une prémonition du plan "Informatique pour tous" y apparaît clairement.

Ses initiateurs m'avaient-ils lu ?

Non, bien sûr, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Gaston Defferre et plus tard, François Mitterrand visitaient la Silicon Valley et le projet des Ateliers populaires se préparait.

Ces grandes idées étaient dans l'air et j'avais la chance de disposer d'une importante tribune pour les exprimer, croyant alors sincèrement que les choses allaient bouger, que le "changer la vie" serait en route. Et si rien ne bougea, ce ne fut pas la faute de ces trois là mais du conformisme de la société française et des représentants enseignants entre autres !

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