PEOPLE ET JOURNALISME


 
 

Encouragée par la recherche d’audience, la proximité télévisuelle visait à exposer le plus souvent possible des agents d’identifications ressentis comme proches de leurs publics : vedettes, personnalités diverses auxquelles on demandait de sortir de leur rôle traditionnel. En politique, elle était même perçue comme vecteur de chaleur humaine « ils sont comme nous ». Mais à force de croiser les genres, ceux ci ont fait un petit particulièrement brillant : le « people ». Et ces gens (venus du « peuple » en somme), facteurs d’identification assez proches mais pas trop, c'est-à-dire plutôt riches, beaux et célèbres, mais pas systématiquement, ont voulu à leur tour utiliser le système qui les exploitait si efficacement. Entrée dans le champ des stratégies médiatiques, la peopolisation agit comme facteur d’augmentation de la notoriété, de l’agrément, de l’admiration, voire de l’addiction, notamment auprès de certains adolescents. Toutefois, et fort heureusement, de même que l’exposition mass-médiatique ne déboucha pas systématiquement sur le bourrage de crâne, l’identification est tôt ou tard stoppée par nos capacités naturelles de prise de distance, d’où les rejets massifs de ce qui fut adulé hier. De leur côté, les internautes actifs, en premier lieu les bloggers et tous ceux pour qui le web constitue avant tout un moyen d’expression et non de pure consommation, ont très vite vu les avantages à contre attaquer sur ce terrain. En diffusant des vidéos privées, parfois volées des « people », il devient possible d’agir fortement sur l’opinion publique grâce à la fantastique démultiplication du buzz des réseaux sociaux (facebook+youtube+google et leurs satellites). Fortement, peut-être, mais durablement, non, car le troisième âge du système hyper-médiatique (l’intégration de tous les médias dans le web) s’annonce. Les blogs se font aspirer par les grands médias (parfois même leurs auteurs le recherchent pour s’assurer un revenu), ce qui veut dire que la

mécanique médiatique de l’oubli (« une nouvelle chasse l’autre ») se rétablit alors qu’on ne l’attendait plus. Les emballements se succèdent sans discontinuer. On assiste à des contagions en chaîne avec des articles, des posts ou des news qui se téléscopent et s’abîment dans une autoréférence vite amortie.

Face à ce ressac permanent, le journaliste retrouve une fenêtre de crédibilisation exceptionnelle (s’il n’a pas sacrifié lui même à la peopolisation). Il peut redevenir le professionnel rigoureux qui garde la bonne distance, qui, retrouvant les fondamentaux du métier et abandonnant la meute des commentateurs superficiels et redondants, ne s’exprime que lorsqu’il a quelque chose à dire, indépendamment de toute allégeance aux pouvoirs constitués ou de toute connivence, notamment avec les « people ». Ajoutée à la création d’un nouveau modèle économique où l’on paiera la valeur ajoutée, la peopolisation ne serait- elle pas une fantastique opportunité de regagner le terrain perdu de la crédibilité et de la confiance ?



JLM


Article paru dans le programme officiel du Festival international du Scoop et du Journalisme d’Angers en 2009.

24 novembre 2009



« Les Gens »
Une fantastique opportunité ?


Les théoriciens du traitement médiatique ne l’imaginaient sûrement pas. Pour eux, le médiateur allait voir son rôle s’amplifier indéfiniment à la mesure de la montée en puissance des médias de masse. Quelques uns, plus perspicaces, découvrirent le mécanisme de l’agenda qui explique que le médiateur n’impose pas son interprétation, mais plus subrepticement la hiérarchie attribuée aux actualités. La description des mécanismes de l’influence a progressé tout au long de la seconde moitié du XXème siècle. Avec Edgar Morin en 1972 et, sur un autre registre avec Jacques Séguéla en 1984, une prise de conscience s’opéra : on ne s’identifiait plus sur le mode traditionnel. Les stars s’éloignaient. C’est ainsi qu’en 1986, au moment où il venait d’acheter TF1, le groupe Bouygues commandita une étude stratégique de positionnement de la chaîne pour les années futures : il en résulta une des plus belles et des plus courtes recommandations stratégiques pour un grand groupe. Pour assurer sa pérennité, il était recommandé à TF1 de se centrer sur : « Les Gens... ». Cette préconisation était visionnaire. Elle assura les bons revenus de la chaîne pour la vingtaine d’années qui suivirent tout en précédant les concurrents dans la marche générale vers la proximité. Proximité des personnes ou des thèmes, proximité culturelle ou affective. Rapprochement des agents d’identification, toujours plus proches de soi. La route vers la téléréalité et la « peopolisation » était tracée. Tout le monde allait l’emprunter, chaînes privées comme publiques, petites (qui montaient...) ou grandes, sans compter les retombées dans les radios (libre parole sur les antennes) ou dans la presse écrite ou le cross média.

De son coté, le web (né en 1995), en créant une culture de l’autonomie quasi complète des acteurs se positionna dès ses origines comme un anti-modèle mass-médiatique. Mais, après le temps des pionniers, il entra dans une période mass-médiatique lui aussi. Celle ci n’est pas achevée, mais depuis l’apparition de ce qu’il est convenu d’appeler le web 2 ou participatif, la proximité trouve un nouveau vecteur qui augmente considérablement sa puissance et son impact : la peopolisation s’inscrit dans un mouvement médiatique riche, ancien et fort complexe. Quels en seraient ses effets ?