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Jean-Luc Michel

Défi mondial 1986, par Jean-Jacques Servan-Schreiber

 

Mon hommage JJSS, décédé le 7 novembre 2006.

Au moment où Antenne 2 programme la série coproduite avec le Canada et présentée par Peter Ustinov sur la première partie du " Défi mondial " 1, Jean-Jacques Servan-Schreiber publie une " suite " à son célèbre essai de 1980. Le ton reste le même, rapide, direct, concis et précis, parfois visionnaire : " Rien n'est donc plus urgent que de tout mettre en œuvre pour brancher la puissance informatique sur le développement, avant tout, des facultés de chaque homme et de chaque femme, dans sa région, dans sa culture , dans sa langue, selon sa vocation, pour faire surgir sa propre ressource, sa propre capacité à créer. C'est vrai au nord comme au sud. Car devant la nouvelle ère qui commence nous sommes tous sous-dévelopés. ".

Face aux deux pôles que constituent les Etats-Unis et le Japon, JJSS décrit longuement le rôle de l'université Carnegie-Mellon de Pittsburgh dans la recherche d'un nouvel équilibre social, commercial, économique et politique entre les nations développées et les pays sous développés, endettés et ruinés. Pour expliquer l'irrésistible ascension japonaise, il remonte à l'anéantissement culturel consécutif à Hiroshima et Nagasaki, mais il ajoute aussi que par chance, les japonais " n'avaient plus de foi religieuse… ".

La thèse centrale de Servan-Scheiber, on la connaît, elle progresse, trop lentement pour son défenseur (qui se défend d'en être le seul et unique auteur), c'est " l'économie de la ressource humaine " selon la belle expression de Samuel Pisar. JJSS la rappelle sans cesse en martelant son propos de citations de dirigeants de grandes entreprises, telles TOYOTA, dont le fondateur Kiichiro Toyoda déclare " qu'on ne laisse pas des hommes inemployés… ", et que le chômage doit être une période de formation intense. L'utopie schreiberienne (mais avons-nous le choix d'en construire une autre ?…) s'articule sur des postulats aussi " simples " que la " société des usines doit faire place à la société de création " et la main-d'œuvre remplacée par des robots… ". Ce qui entre en résonance quelques pages plus loin avec l'affirmation selon laquelle " l'usine robotisée a vocation à fournir le marché mondial ".

On y trouve un vigoureux plaidoyer contre une des dernières modes économiques selon laquelle, il vaut mieux ne rien produire mais se contenter de commercialiser. Citant des études de " Business Week ", il précise que " c'est à des salaires inférieurs que ceux qui perdent leur emploi dans l'industrie en retrouvent dans les services…". Selon JJSS, un preuve " cinglante " en est donnée par les compagnies japonaises qui viennent s'installer aux USA pendant que les firmes américaines s'expatrient dans les pays sous développés à la recherche des salaires les plus bas. Double mouvement croisé, vers l'avenir et vers le passé, à la recherche des gisements d'intelligence pour les uns et d'une main d'œuvre condamnée à disparaître pour les autres… Pour Akio Morita, le patron de SONY, les dirigeants américains organisent le " vidage " de leur pays en croyant que la fonction de production d'une économie n'est plus indispensable. Funeste erreur due à une confusion entre la baisse des emplois et l'augmentattion de la production et de la productivité.

D'où la question cruciale qui nous concerne spécialement, celle de la formation, de " l'exploitation des gisements d'intelligence ", au travers de la liaison " organique " entre l'Université et l'Industrie. Pour JJSS et ses interlocuteurs internationaux, l'Université qui pouvait être " une bonne machine à enseigner " devrait vite devenir une " entreprise à créer le savoir ". L'une des clés indispensables à la réussite de cette entreprise résiderait dans " la rapidité d'accès aux bases de données ", ce qui requiert évidemment des " work-stations (stations de travail) " informatiques extrèmement puissantes, totalement compatibles et interconnectables… et au nombre d'une par étudiant… Ces " ordinateurs pédagogiques " permettront, selon Pat Crecine, le Vice -Président de Carnegie-Mellon que les étudiants deviennent " leur propre maître ", car " ceux qui ne le seront pas ne pourront aller au bout d'études aussi intenses ", s'ils se sentent " contraints " ou même seulement " jugés "…

Comment s'étonner dès lors des propos de Richard Cyert, le président de Carnegie-Mellon devant des interlocuteurs américains et japonais : " Cette exigence permanente du savoir exigera naturellement une révolution dans les méthodes d'éducation, de formation, et cela tout au long de la vie, qui n'auront plus rien à voir avec celles du passé. ". Importance d'autant plus capitale que ce savoir " est désormais la source même du pouvoir dans le monde. (…) Il n'y aura plus d'autre source de puissance que l'invention permanente des connaissances…". Et Samuel Pisar de lui répondre " Arrive le jour où les héros des peuples, et les guides du monde ne seront plus jamais ceux qui manient les glaives ou les missiles, mais ceux qui maîtrisent le savoir où l'invention. "

Mais avant d'en arriver là, il faut encore faire tomber une " Bastille universelle " : "  celle de l'Elite dirigeante. Celle du pouvoir, celle de l'administration, celle de l'argent, celle des diplômes. Elle est la même au Nord comme au Sud, à l'Est comme à l'Ouest. ". Son crime est de toujours : " celui du mépris des faibles, des pauvres, des races, des autres, du peuple…".

" L'erreur tragique de nos élites est de n'avoir utilisé cette science informatique qu'à l'automatisation de la production, à la robotisation des usines, puis des bureaux, puis des espaces agricoles, multipliant par dix, par cent, par mille, les capacités de production et de profits mais aussi, du même élan, supprimant les emplois par dizaines de milliers au Nord, creusant des dettes de centaines de milliards de dollars au Sud…"

JJSS ne plaide pas pour autant pour un " remake " du plan Marshall de 1945, car les sommes d'argent nécessaires seraient introuvables (les revenus du pétrole ont trop fondu…) : " Il ne s'agit plus de se partager des richesses (lesquelles ?), il s'agit, pour le tiers monde, d'avoir les connaissances permettant de passer à la phase supérieure de la société informatisée pour devenir lui-même capable de créer "… et par là même " de devenir un grand marché, solvable par lui-même, parce qu'il sera doté par l'éducation et la connaissance, des moyens de créer et de devenir un partenaire. " lui répond Raj Redy, un hindou, " fils de paysan du tiers monde ", comme il se présente lui-même, et directeur de l'Institut de Robotique de Carnegie-Mellon.

Cet immense effort de formation, passant par une révolution complète des relations au savoir et à la découverte, François Mitterrand n'a cessé et ne cesse de le défendre et de le promouvoir en France et dans le monde : " La révolution scientifique aura deux caractéristiques majeures, la dimension internationale et l'importance du facteur humain. La solidarité et la création. (…) Tout repli sur soi, tout refuge dans le passé serait un piège redoutable…".

Face à de tels enjeux, JJSS est sévère pour les systèmes d'enseignement de tous les pays, dont le nôtre, notamment vis-à-vis des techno logies nouvelles : " François Mitterrand, de tout son pouvoir a fait passer un message. Il n'a pas ébranlé les bureaucraties. L'Education en France a même fait un bond en arrière, elle adore la tradition pour mieux repousser l'ordinateur. " Il ne s'acharne pas comme d'autres, de tous côtés, sur une profession (la nôtre) ; il constate en quatre lignes sur 250 pages un rendez-vous manqué, selon lui, avec notre nouveau rôle social : éveilleurs, organisateurs ou cultivateurs de la " ressource humaine ", et à ce titre, modernisateurs du monde… On peut au moins lui reconnaître le bénéfice de la sincérité et la passion d'une grande cause.

 

 

 

1. Et que nous vous recommandons vivement de visionner (réalisation Daniel Bertolino), tant sur le plan de la forme que sur celui du fond. Il s'agit à nos yeux, malgré quelques effets un peu gratuits d'un authentique discours " distanciateur " sur l'histoire proche, exploitant d'inestimables archives, hélas trop peu montrées sur le petit écran, même dans ses séries historiques où culturelles (les discours de Patrice Lumumba ou de Castro en constituent un excellent exemple).

 

Jean-Luc MICHEL
1986

 

 

Critique de livre

Commentaire

 

Critique de l'ouvrage "Défi mondial 1986", par Jean-Jacques Servan-Schreiber, Le livre de poche, Paris 1986, parue dans l'Ecole libératrice. Il me fallu batailler ferme pour faire passer cet article jugé trop "favorable aux thses de JJSS"  avec lequel j'avais eu la grande chance de travailler en 1984 lors du plan "Informatique pour tous" et pour lequel j'éprouvai - et éprouverai toujours !! - beaucoup d'admiration et d'estime pour sa clairvoyance et son intelligence hors du commun (ah, la première entrevue dans son bureau ou le voyage en jet à la foire d'Amiens et les notes transmises à Mitterrand !!).

Malheureusement, nous n'avons pas su l'écouter… et il vit le plus souvent aux USA… Que d'années perdues pour des idées qui ressurgissent aujourd'hui et apporteraient beaucoup au débat trop souvent stupide sur la mondialisation.

L'Ecole libératrice tirait à l'époque à 350 000 exemplaires. J'étais le "chef de rubrique" NTIC ou NTE (nouvelles technologies d'enseignement).J'ai essayé de contribuer à l'avancée des idées, mais avec le recul du temps, je mesure ce qu'il faut de répétition, de ténacité (ou d'amnésie ?) pour redire les choses et tenter de faire avancer le monde. Cette époque m'a beaucoup appris…

 

A NOTER

Un de ses fils, Emile Servan Schreiber est le responsable d'un site de spéculation sur le futur en montrant une curieuse version de "l'intelligence collective"…

 

 

 

 

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