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Jean-Luc Michel

Le plan "Informatique pour tous"…s'il avait été bien orienté…

Pour ceux qui préfèrent lire d'abord la version "pessimiste" et réelle : "IPT, une modernisation au rabais" (le plan tel qu'en lui même il fut mené…).

 

LES INSTITUTEURS,

MODERNISATEURS

DE LA REPUBLIQUE...

 

 

250 000 ordinateurs professionnels regroupés dans plus de 30 000 ATELIERS INFORMATIQUES, ouverts à la fois au grand public et à nos élèves, et ceci dans tous les quartiers et dans toutes les communes de France... Un calendrier de formation de deux semaines en trois sessions dès la première année, des supports audiovisuels et informatiques, des décharges d'un jour par semaine permettant à plusieurs dizaines de milliers d'entre nous de devenir les responsables pédagogiques de ces ateliers, et d'être assistés par de petites équipes d'animateurs, recrutés parmi les jeunes engagés dans les Travaux d'Utilité Collective (les TUC), des préretraités ou des chômeurs en fin de droits...

C'est ainsi que se découvre l'ambitieuse opération annoncée lors de notre Conseil National du 6 décembre et dans laquelle le SNI Pegc a joué un rôle moteur.

Lancée à l'initiative de Gaston DEFFERRE, Ministre du Plan et de l'amé- nagement du territoire, avec l'aide du Centre Mondial pour l'Informatique et les Ressources Humaines et la Fondation X 2000, l'opération est soutenue par le Ministère de l'Education Nationale, les Ministères des PTT, du redéploiement industriel, de la Recherche et de l'Industrie. Elle fait l'objet d'un financement interministériel, accompagné de contrats avec les régions et de prêts à taux bonifiés...

 

Une opération sans précédent...

 

Les ATELIERS INFORMATIQUES devraient donner ou redonner à la France un rôle de première grandeur, aussi bien du point de vue culturel, économique et social que du point de vue industriel...

Imagine-t-on un pays dans lequel tous les citoyens qui le désireraient auraient acquis une culture moderne adaptée aux sociétés de l'information et de la communication dans lesquelles 70 % des emplois concerneront justement l'information et la communication au sens large... Mais pour être efficace ou "opératoire", cette nouvelle culture qui naît sous nos yeux ne doit pas pour autant délaisser d'autres formes plus anciennes, ou plus éloignées d'elle a priori, comme la philosophie par exemple (1)… Imagine-t-on un pays dans lequel les capacités de création et les ressources personnelles des individus pourraient s'exprimer à leur maximum, en utilisant toutes les potentialités offertes par les nouvelles technologies…

Rêve que tout celà... Sait-on jamais ?... En janvier 1983, nous écrivions ici-même "pourquoi chaque établissement ne se transformerait-il pas en une base locale de données (…) utilisable par des associations, des groupements ou par le "public" lui-même, élèves et parents d'élèves réunis)... Utopie ? Peut-être, mais si l'on veut que l'école devienne ou redevienne un lieu attractif de rencontre et d'échanges, un lieu de création et de réflexion, pourquoi nous priver des possibilités que nous offre la technologie...."

Aujourd'hui, c'est à dire dès la fin du premier trimestre 1985, nous allons peut-être pouvoir réaliser quelques unes des étapes de ce "rêve". Nous en aurons d'ailleurs les possibilités techniques grâce à du matériel professionnel "haut de gamme". On en profitera pour noter que pour une fois, on ne considère pas que du matériel "amateur" sied aux "petits", mais qu'au contraire, nos décideurs ont compris que plus les enfants sont jeunes ou plus les handicaps à relever sont lourds, plus il faut des ordinateurs puissants et pratiques, qui permettent de se consacrer tout de suite à l'essentiel, c'est à dire à s'en servir "intelligemment", pour faire quelque chose d'utile, sans perdre son temps à se conditionner dans la répétition de gestes arbitraires et stupides.

Nous en aurons aussi les possibilités pratiques grâce à une politique de stage sans précédent, associée à des décharges de service conséquentes permettant aux responsables des ateliers d'achever leur formation et de répondre aux besoins de leurs élèves, de leurs collègues et de toute la population locale, puisque rappelons-le, ces centres seront ouverts à tous, aux scolaires pendant les heures d'école, et aux non-scolaires le reste du temps, grâce à une petite équipe d'animateurs.

Pour la première phase de l'opération, 30 000 instituteurs ou institutrices seront invités à assumer ces nouvelles responsabi- lités... Non seulement parce que les ateliers seront le plus souvent implantés dans leurs écoles (à la seule condition que des locaux soient disponibles), mais aussi et surtout parce qu'ils pourront renouer avec leur rôle traditionnel et leur mission éducative et sociale…

Dans un second temps, toutes les écoles seront équipées d'ateliers plus ou moins importants en fonction des effectifs de la commune ou du quartier, de sorte que la quasi-totalité des sites devrait être couverte courant 1986, les collectivités locales pouvant naturellement hâter le processus ou augmenter les dotations de base.

Si l'opération réussit (pourquoi ne réussirait-elle pas ?), l'école se retrouvera d'un coup replacée dans son rôle de pôle social, de carrefour obligé, de lieu "où il se passe quelque chose", dans lequel on pratique dès aujourd'hui les savoirs de demain ou d'après demain et non d'avant hier comme hélas quelques exemples malheureux ont pu le laisser croire…

L'enjeu culturel apparaît immense, et nous savons que les enthousiasmes existent, c'est pourquoi cette opération, au contraire d'autres qui ont trop traîné en longueur verra sa première phase s'achever dès la fin de 1985... Comme il a été dit plus haut, les années suivantes permettront d'améliorer encore le degré de formation des responsables de centres (c'est à dire les instituteurs) et des animateurs qui les aideront dans leurs taches, mais aussi d'augmenter le nombre des machines ou leur capacité.

Pour notre école, il s'agit d'une chance unique de retrouver un rôle moteur dans la société, et pour les instituteurs de redevenir les éveilleurs qu'ils n'auraient jamais du cessé d'être. Et comme une politique aussi ambitieuse ne correspondrait à rien sans des moyens conséquents, précisons qu'en plus des matériels et de la formation technique et pédagogique, le projet prévoit la création de plus de 2000 postes. dès le début de 1985...

Un triple enjeu :

La création d'un tel réseau d'ateliers informatiques et télématiques dans pratiquement toutes les communes apparaît comme une immense affaire qui concerne tous les français : Le grand public, afin qu'il se familiarise facilement, s'initie sans complexe ou se "déterrorise" face aux ordinateurs; les parents d'élèves, impatients que les nombreux discours sur l'informatique se traduisent enfin dans les actes, et les jeunes enfin, qui doivent absolument être formés à la "pensée", ou à la "logique" informatique si l'on ne veut pas qu'ils deviennent les esclaves inconscients des nouveaux systèmes de communication.

On peut rapidement distinguer trois enjeux fondamentaux qui justifieraient, s'il en était besoin, le lancement d'une opération d'une telle envergure.

1).L'enjeu culturel : A long terme, il s'agit sans doute du plus important des trois... L'acquisition d'une culture moderne adaptée aux médias, authentiquement "libératrice " vis à vis d'eux en faisant découvrir leurs fonctionnements et leurs codes semble absolument indispensable. Si l'on veut que les jeunes puissent se construire eux même cette culture, encore faut-il leur en donner les moyens, ce qui renvoie au problème de la formation des enseigants et de la qualité (on dirait presque aujourd'hui de la "convivialité ") des matériels mis à leur disposition.

En tant qu'éducateurs et que citoyens, nous ne pourrions tolérer une colonisation même douce des esprits qu'il nous appartient avec d'autres de former, d'où les exigences que nous avons maintes fois formulées concernant l'immense attention que la nation doit à son école.

2).L'enjeu social : L'informatique supprime beaucoup d'emplois peu qualifiés (ce sont eux les plus nombreux aujourd'hui) et crée de nouveaux emplois hautement qualifiés, ce qui pose un dramatique problème de formation continue...

Il faut avoir le courage de le dire, plus de deux emplois sur trois vont changer ou disparaître d'ici quelques années, d'où le rôle de plus en plus important des périodes de formation et les demandes de plus en plus fortes des entreprises pour que le service d'enseignement forme des citoyens de mieux en mieux aptes à continuer d'apprendre tout au long de leur vie (c'est peut-être ce que l'on appelle la modernisation sociale...). D'où l'importance aussi de donner à tous l'occasion de découvrir l'informatique ensemble s'ils le désirent, dans des lieux proches de chez eux, c'est à dire dans les écoles ou dans les mairies...

3).L'enjeu économique : Avec 250 000 ordinateurs professionnels installés dès 1985, les ATELIERS INFORMATIQUES donneraient un coup de fouet à l'industrie informatique et télématique française en lui permettant de se placer en bonne position face à IBM, ce qui paraît d'autant plus indisppensable que les discussions entre IBM et ATT pour le "partage du monde" progressent maintenant assez vite...

Si cette opération pouvait joindre un pôle éducatif et social à un pôle industriel, il nous semblerait que pour une fois l'économique et le culturel se seraient renforcés l'un et l'autre, ce qui ne serait pas un des moindres signes avant-coureurs de la réussite de la "modernisation" économique, sociale et culturelle...

 

L'Ecole, lieu vivant et attractif...

Nous avons apporté notre soutien à cette opération parce qu'elle s'inscrit exactement dans le sens d'une revitallisation de l'école publique, telle que nous l'avons décrite dans nos précédents congrès pédagogiques.

Les ATELIERS INFORMATIQUES implantés dans les écoles ou dans les mairies et placés sous la responsabilité d'un instituteur ou d'une institutrice vont ouvrir l'école sur son environnement, ce qui se traduira à terme, ainsi que nous l'avons dit, par un repositionnement social, ou une sorte de "revalorisation" de sa fonction dans la société. Les maîtres se retrouveront alors un peu (et toutes proportions gardées) dans la situation de leurs ainés du siècle dernier avec comme différence essentielle que le "progrès" ou le "modernisme" pourra même être utilisé dans les processus d'apprentissage (dans le cadre de séquences d'EAO) puisqu'ils disposeront de machines fiables, simples et performantes, et de programmes adaptés aux situations rencontrées.

Un calendrier précis :

Une opération d'une telle ampleur n'a de chances de réussir qu'à la condition d'être soigneusement préparée et encadrée. Nous reviendrons dans d'autres articles sur l'ensemble du dispositif, aussi nous contenterons-nous de donner quelques indications portant principalement sur l'organisation du déroulement des différentes phases :

Les stages ayant été intégralement conçus dans une perspective dite "multimédia", c'est à dire en faisant sytématiquement appel à des supports audiovisuels et informatiques (c'est bien le moins...), la préparation des documents nécessaires prendra les deux premiers mois. Parallèlement, le recrutement et la formation en régions des formateurs pourra s'effectuer.

Les premiers stages dureront une semaine. Très décentralisés, ils mobiliseront tout le potentiel des régions en locaux et en formateurs. A leur issue, les instituteurs repartiront avec un ordinateur identique à celui qui équipera les futurs ateliers et sur lequel ils pourront poursuivre chez eux s'ils le désirent leur auto formation (il s'agit là d'une idée que nous avions émise ici-même (2))...

Entre 4 et 6 semaines après , les premiers ateliers seront installés et équipés et les ordinateurs mis en réseau internes et externes grâce à des modems télématiques...

Une à deux semaines après, les responsables d'ateliers (c'est à dire environ 2000 à 2500 instituteurs ou institutrices par région) retourneront en stage pour trois journées afin de s'initier au maniement (en fait très simple) de leur réseau local... Simultanément, le recrutement des animateurs (sur lequel les instituteurs seront également consultés) ainsi que leur préformation technique commenceront dans des stages spécifiques.

Deux à trois mois après, les responsables d'ateliers participeront à une nouvelle session de deux jours destinée à leur faire découvrir et confronter des pratiques d'animation locale, notamment des expériences d'échanges de données entre groupes scolaires ou entre groupes scolaires et non scolaires, conformément à la description que nous en avion faite dans ces colonnes (3).

Naturellement, des conseils téléphoniques (et peut-être directement télématiques) seront organisés, ainsi que des services départementaux d'assistance destinés à aider au démarrage de toute l'opération. De plus, des personnes ressources seront mises à la disposition des responsables de centres.

Rappelons que ce calendrier est prévu sur 1985 pour la plupart des régions, l'année 1986 permettant de terminer les premiers équipements et de regrouper régulièrement les responsables afin de poursuivre leur formation tout en leur donnant l'occasion d'échanger "de vive voix" leurs expériences (4).

 

 

 

(1). ... Qui exige les mêmes qualités que l'informatique... Cf. EL. n°16 du 30/01/82 dans le dossier "L'informatique, avant le dégel..."

(2). Cf. EL. n° 31 du 18/06/83, p. 26

(3). Cf. EL. n°16 du 29/01/83

(4). Nous disons de "vive voix" car il existera des possibilités télématiques extrèmement importantes…

 

 

 

Jean-Luc MICHEL

Décembre 1984

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Commentaire

Cet article aurait pu paraîte dans la revue L'Ecole libératrice (350 000 exemplaires) si ce qui a été très connu sous le nom de "Plan Fabius" (annoncé en janvier 1985) alors que le véritable initiateur en fut Gaston Defferre n'avait été une vaste gabegie comme notre pays aime en faire hélas assez souvent.

J'ai eu la chance d'être au cœur du processus de décision pendant quelques semaines (d'octobre 1984 à janvier 1985) en tant que conseiller technique du SNI-PEGC (FEN) et de chef des projets d'une association ministérielle.

Le plan que j'avais rédigé avec le soutien de Jean-Jacques Servan-Schreiber et de Jean-François Boisvieux son conseiller technique au centre mondial pour l'informatqiue et les rssources humaines était très ambitieux. Il préconisait l'équipement en Macintosh à l'époque révolutionnaire, et le prêt d'un ordinateur par enseignant formé. Des ateliers populaires auraient diffusé l'informatique moderne dans tout le pays. Les lecteurs actuels de ce qu'il y avait dans le plan sont effarés qu'il n'ait pas été choisi. Mais les conformismes, l'inertie et le népotisme l'ont empêché.

Dans une thèse, soutenue en 2001, et dans l'ouvrage qui a suivi, publié chez l'Harmattan en 2002, Bernard DIMET a étudié ctte période. Il consacre un chapitre entier à ce fameux plan et rend compte de mes activités d'alors.

Le lecteur pourra juger sur pièce de l'avance du projet que j'avais eu la chance de préparer pour Gaston defferre et JJSS dans l'extrait d'une des notes techniques remises à son cabinet et transmises aux autres décideurs en charge du dossier. Cette note a été laissée danss on état d'origine avec toute l'extravagance typographique qui caractérisait alors ceux qui découvraient les infinies possibilités du macintosh !!

En 2006, j'ai créé un site qui raonte en détail toute cete aventure.

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