SUR FRANçOIS MITTERRAND…


 
 

Janvier 1996



Que vaut-il mieux au fond pour nous : être chômeur ou être mort au champ d’honneur ?



Avec François Mitterrand, pour la première fois dans l'histoire de la République française, la Gauche est devenue légitime, et par ricochet, la Droite aussi puisqu’il a su gérer”' les alternances. Avec De Gaulle, c'était peut-être l'épopée impériale, avec Mitterrand, c'est la démocratie.

Comme il l’avait annoncé dès le début et même avant de prendre le pouvoir, ses quatorze années de présidence ne se sont pas terminées par la ruine de la France, ou comme souvent après la Gauche, par une guerre.

Grâce à François Mitterrand, plus jamais, on ne pourra dire que la Gauche, même si elle est généreuse, sème la catastrophe.

Le prochain président de Gauche - il y en aura forcément un - ne pourra plus être présenté par ses adversaires comme “un aventurier illégitime nous conduisant au désastre”.

François Mitterrand a aussi montré, notamment à son successeur, qui l’a reconnu spontanément et avec sincérité, que "l’homme doit être au coeur de tout projet", essentiellement parce que l’être humain se construit sans cesse et qu’il faut absolument rester attentif à ses évolutions, même les plus ténues, même les moins visibles. Les technocrates et les sectaires auront du mal à faire semblant de l’ignorer.

Son intelligence, sa clairvoyance en matière de politique internationale est la partie de son oeuvre la plus vitale pour tous les Européens. N’a-t-il pas tout compris avant tout le monde lors de l’effondrement du mur de Berlin ? Qui a imposé la reconnaissance de la frontière Oder-Neisse et la monnaie unique en “échange” de la réunification allemande ? Heureusement pour nous qu’il connaissait l’Histoire et qu’il a réussi à transformer en actes fondateurs sa culture humaniste. Son travail essentiel est sûrement là. Éloigner le risque d’une nouvelle guerre européenne, quitte à accepter de prendre du retard sur la construction d’un “espace social européen”. Entre deux immenses chantiers, il a choisi celui qu’il a estimé le plus urgent. Et il a eu raison.








Pardon à celles ou ceux qui ne l'aiment pas !

Ce texte a été écrit à chaud juste après l'annonce de son décès. Et je n'en regrette pas une ligne.

Il ouvrait cette partie de mon site des années 1990 où je dévoilais quelques avis personnels, évidemment ouverts à la discussion !!!

Plus il est attaqué par les «bien pensants» de gauche comme de droite, plus j'ai envie d'exprimer qu'il fut un grand président. Tous ceux qui ont un peu voyagé hors de France l'ont sûrement constaté. La seconde moitié du XX siècle se partage entre De Gaulle et Mitterrand.

J'ajoute qu'avec Mitterrand, la Gauche était protégée des dégâts du «socialisme réel», du communisme et du sectarisme et que son parcours de la droite vers la gauche est plus estimable que les ex-socialistes qui sont allés vers la droite ou l'extrême droite…

Malgré les tombereaux de boue souvent déversés par ceux qui lui doivent leur carrière, quelques ouvrages vont heureusement dans le sens que je défends ici : Pierre Péan, Pierre Bergé sans oublier Roger Hanin. Ce qui est fascinant (y compris pour les gens de droite ouverts et tolérants) c'est son immense culture, qui donne la profondeur indispensable au discernement et à l'action politique. Je suis un peu triste (pour la gauche) de constater que c'est Jacques Chirac qui lui a rendu le plus bel hommage «au coeur de tout projet il y a l'homme…». Puisse la Gauche revenir un jour à une vision humaniste, intelligente et non sectaire… Mais malheureusement, la route risque d'être un peu longue et la la «modernisation» des idées difficile !

 

(Ce texte a été publié dans Libération et divers sites, Le Monde l’a refusé).

Par honnêteté intellectuelle je n'ai absolument rien changé et j’ajoute que j’ai personnellement travaillé pour lui en 1984 lors du plan Informatique pour  tous.

Une vingtaine d’années plus tard, je n’ai pas l’impression que la modernisation de la gauche française ait beaucoup avancé. Le mouvement des idées est très lent, l’histoire nous  le montre. Sans compter les retours sectaires en arrière…



Ce sens politique exceptionnel ne peut s’expliquer que par le recul, la prise de distance que lui permettait d’opérer son immense culture : connaissance des oeuvres et des idées, mais aussi et surtout ouverture aux êtres et à leur complexité. Si autant de personnes se reconnaissent au moins un peu en lui, c’est en raison de cette épaisseur, de cette profondeur de son être, du diamant intérieur qu’il polissait d’ailleurs sans cesse.

Au terme de son action d’homme d’État, un reproche, un seul, compte vraiment : le chômage.

Mais l’histoire montre qu’avant la construction européenne dont il fut, avec Helmut Kohl, l’artisan inlassable, nous ne connaissions qu’un seul moyen de résolution des crises économiques et financières : la guerre.

Que vaut-il mieux au fond pour nous : être chômeur ou être mort au champ d’honneur ?

François Mitterrand a tout fait pour éviter la guerre (qu'il a connue). Au prix du chômage, et sans réussir dans la seule voie dont il eut très tôt la clairvoyance : la réduction du temps de travail qu’il avait voulu appeler “le temps libre” dès 1981. Il ne l’a pas réussie certes, mais il l’a repérée. À ses continuateurs de tenter d’y parvenir. À l’abri d’un risque de guerre.

"Nous avons tant de choses à faire ensemble" disait-il en mai 1981. Il n’a pas tout fait certes, mais il a montré qu’on ne peut avancer sans espoir, sans utopie, sans volonté farouche et obstinée. Et si l’on a du mal à caractériser le “mitterrandisme”, c’est parce qu’en fait nous sommes tous un peu mitterrandiens, y compris ses opposants idéologiques ou politiques. Là où De Gaulle avait un dessein (une “certaine idée de la France”), François Mitterrand eut une praxis, basée sur l’opposition des contraires, la tension, la complexité.

En ceci, non seulement, il est un des très grands hommes politiques du demi-siècle, mais aussi et surtout, il ouvre le 21ème en montrant à ceux qui veulent servir la France et l’Europe que la politique, en étant complexe, pourra enfin être en même temps dialectique et démocratique, c'est-à-dire s’écarter de la démagogie et du totalitarisme.


Merci François Mitterrand.