LA COMMUNICATION DE LIONEL JOSPIN


 
 

4. Une communication désastreuse

En liaison avec ce qui précède, on peut constater que la communication de Jospin a été plutôt calamiteuse, tout au moins au delà du cercle (restreint) des électeurs PS indéfectibles.

En premier lieu, une remarque générale :  Qui aura le courage politique à gauche comme à droite de relever que la quasi-disparition de l’affichage public (les fameux panneaux 4X3 et leurs dérivés) correspond à une absence de message clair, de “lisibilité” de l’expression ou du positionnement des partis. On  a accusé cette forme de communication de tous les maux (corruption, recyclage d’argent sale, “marketing lessivier”, etc.) en oubliant l’essentiel : ces messages vus par tous et partout (c’est même le principal argument des afficheurs : leurs panneaux sont reçus par toutes les couches de la société) obligeaient les partis ou les candidats à essayer de se resserrer sur l’essentiel, l’ultime, le fort, le significatif. Les autres formes de propagande (campagne officielles, plaquette, tracts, interviews, débats, meetings, porte à porte, etc.) précisant et détaillant les mesures se rapportant à cet axe central qui les mettait en cohérence et rassemblait les militants. Aujourd’hui, une certaine forme d’angélisme anti-commercial a aboutit à délégitimer l’effort de recentrage du propos autour des valeurs fondatrices de l’identité des candidats. Le raisonnement (si l’on peut dire) est étrange : pour être plus près des gens, la politique devrait faire petit, étroit, inaudible et quasi invisible. À quelle vision du peuple faut-il en être arrivé pour lui refuser  les grands espaces, la vision et l’utopie, la tradition (est-elle encore de droite ?) ou la modernité (est-elle encore de gauche ?). C’est faire injure à nos concitoyens les plus modestes que de prétendre que la politique, sous le prétexte d’être proche d’eux devrait être insipide, sans saveur et sans distinction, sans recherche et sans originalité, sans vigueur et sans élan. L’honneur de la politique a toujours été de tracer des voies, d’énoncer ou de rappeler des grands principes (quitte à ce qu’ils soient à contre courant, dixit Mitterrand et la peine de mort…), les élections permettant de corriger le tir si le contrat était estimé insuffisamment  rempli. Au lieu de cela, on a  assisté de part et d’autre à une communication rabougrie, étroite, limitée, lisse “politiquement correcte”, se surajoutant aux erreurs stratégiques déjà soulignées.

A ceux qui penseraient que des campagnes de ce type coûteraient cher, on peut juste dire qu’il y a beaucoup d’économies à faire quant au fonctionnement de la République (à quoi sert le Sénat ?)…


5. Une absence - au moins apparente - d'autocritique des principaux responsables du PS

On a l’impression que ceux ci accusent le thermomètre de dire que le malade a la fièvre plutôt que de se préoccuper des causes, c'est-à-dire de leur gestion (dixit Chevènement, les Verts, le MRG, le PC sans compter les trois trotskistes…). Les bons mots du premier secrétaire du PS sur TF1 (et ensuite sur France 2) et le fait que sa compagne - malheureusement pour elle souvent perçue comme exemple type de la “gauche caviar” -  lui succède à l’écran (ça rappelle d’autres couples à droite…), tout comme la suffisance de la plupart des dirigeants (à l’exception courageuse d’un Strauss-Kahn ou d’un Fabius) ne risquent pas de leur ramener beaucoup d’électeurs perdus. Et c’est bien là le drame. Si le PS ne change pas rapidement d’attitude et de stratégie donc de responsables, il continuera de s’enfoncer et s’il faut attendre un nouveau Mitterrand pour reconstruire la gauche (mais sur quelles bases adaptées au XXIe siècle ?), la route risque d’être longue ! La droite peut être tranquille !

Triste histoire que celle de ce parti qui va conduire ses troupes à voter pour celui que son fondateur a toujours battu aux élections présidentielles ! Il est vrai que l’absence totale de référence à l'oeuvre de Mitterrand, dont le bilan quoi qu’on en dise est largement honorable sur tous les plans (cf. l’ouvrage de Péan) et aurait permis de préparer en douceur une évolution profonde (à l’anglaise ?) de la gauche semble est à la hauteur de l’échec historique de 2002.


Conclusion : une refondation de la gauche

Pour conclure, il faut espérer qu’un vrai débat gauche-droite pourra renaître dans notre pays. Mais à condition que quelques actions soient entreprises et quelques principes respectés.

- Battre l’extrême droite courageusement et sans faux semblants, c'est-à-dire affirmer haut et fort que la gauche appelle à voter Chirac.

- Refuser une nouvelle cohabitation. Pour y parvenir, Jacques Chirac pourra dramatiser de manière gaullienne s’il le faut (ou chacun des protagonistes s'engager à démisionner).

- Refonder des nouvelles valeurs de gauche en prenant pour base une partie du discours de Blair sur la liberté, le libéralisme (sans avoir peur des mots), le moins d’Etat et la responsabilité individuelle de ses actes. La gauche doit retrouver le mouvement, le progrès, la justice sociale et abandonner le maintien des privilèges, même s’il s’agit de ceux d’une partie de ses électeurs. On a pu entendre que les vrais conservateurs étaient à gauche et les modernisateurs à droite, ce qui montre bien où nous en sommes arrivés de l’inversion des valeurs traditionnelles et du fait qu’un discours de gauche ne peut ignorer que la droite du XXIème siècle n’est plus celle des maîtres de forges et que le système soviétique (tout Etat) a définitivement fait faillitte. Ce n’est qu’en revenant aux valeurs républicaines qui ont placé la liberté en premier (ce n’est pas un hasard), et à une rigueur et une éthique sans faille que le PS pourra peut-être reconquérir durablement les électeurs qui l’ont abandonné. Ceci passe naturellement par un renouvellement en profondeur de son personnel et la mise à l’écart de ceux ou celles qui sont dogmatiques ou doctrinaires.

La gauche va disposer de cinq années pour se recomposer. Plutôt que de pleurnicher sur les médias ou Chirac qui auraient “monté” l’opinion sur l’insécurité, mieux vaudrait qu’elle se ressource et écoute ceux qui dans ses partis actuels essaient de faire évoluer les choses, comme un Strauss Kahn au PS ou un Cohn-Bendit chez les Verts. Ce n’est qu’en se refondant sur des valeurs modernes ancrées autour de l’idéal de justice sociale, lequel n’impose absolument pas l’égalitarisme et la réglementation bureaucratique, que la gauche reviendra au pouvoir et participera au Bien commun de la société qui ne peut avancer que dans une vraie dialectique droite-gauche, dans l’alternance autour de valeurs fortes et pas dans du consensus mou ou de la démagogie égalitariste.




JLM


Article paru sur mon site de l’époque et dans différents autres sites de presse.

Il a entraîné beaucoup de débats, même des années plus tard…

Avril 2002



Faudra-t-il attendre pendant 15 ans le retour de la gauche ?


Si l'échec de Lionel Jospin au premier tour des présidentielles était assez peu prévisible, les réactions de la plupart des dirigeants du PS laissent augurer que ceux ci n’ont rien compris à leur échec et font prendre le risque de devoir attendre très longtemps le retour de la gauche au pouvoir. Un scénario du genre Chirac + Sarkosy (ou X ?) pour deux mandats consécutifs, soit 15 ans n’est pas du tout inenvisageable, de même que le succès de Le Pen était hélas prévisible pour qui voulait bien examiner la situation sans oeillères.


1. Les raisons électorales de l'échec

C’est avant tout la conjonction explosive entre la candidature de la LCR (tout aussi trotskiste que LO mais plus “jeune”) et les attaques violentes de Chevènement contre Jospin qui expliquent l’élimination aussi nette de ce dernier (0,7%, soit quand même environ 200 000 voix).

En ne cessant de critiquer férocement la gestion de Jospin, Chevènement a moins engrangé de voix pour lui (cf. son bien piètre score) que donné de bonnes raisons à des électeurs socialistes de s’abstenir avec des raisonnement du genre : “on va faire sentir à Jospin (ou au PS) qu’on n’est pas d’accord et on votera quand même pour lui au second tour”. Venant de Chevènement (qui incarne pour beaucoup une “certaine gauche historique et morale”), ces critiques étaient les plus cruelles et les plus dangereuses. Simultanément, quelques électeurs socialistes ont pu se défouler sur des candidatures d’extrême gauche. L’analyse des résultats paraît limpide : LO n’a pas progressé en pourcentage et a même régressé en voix. On ne peut donc lui imputer directement l’échec du PS, pas plus qu’au MRG ni aux Verts (dont il était clair qu’ils allaient tout faire pour préparer leur place aux législatives). C’est la LCR, qui partie de quasiment rien  et avec près de 4,3% a fait chuter Jospin. Un sur trois des électeurs de Bezancenot aurait pu assurer la présence de Jospin au second tour en ne se laissant pas tenter par le facteur. Il est vrai que la présence à ses côtés de quelques personnalités comme Léon Schwarzenberg a pu faire croire que ce “groupuscule” (comme on disait en 68) était vierge et dissimuler certaines de ses prises de position dans les années 60 et au delà, par exemple pour soutenir bruyamment les Khmers rouges dans leur “courageuse révolution…” (sans commentaire). En réalité, la LCR, comme LO sont foncièrement antidémocratiques, la meilleure preuve pour ceux qui en douteraient encore étant leur refus d’appeler à voter Chirac au second tour : comme le faisait remarquer un humoriste, ils sont plus obtus que Maigret et les chasseurs !

Au plan de l’arithmétique électorale, il paraît difficile de trouver une explication plus convaincante que cette curieuse conjonction Chevènement/LCR (il est vrai que certains membres du vieux Cérès étaient proches de la phraséologie de “Rouge” le magazine de la LCR des années 60 et 70, mais ceci est bien loin.

L’arithmétique n’explique pas tout. L’échec de Jospin a d’autres raisons plus graves et plus inquiétantes.


2. Une stratégie de campagne suicidaire

Comment expliquer que Jospin, pourtant formé à bonne école du temps où il côtoyait Mitterrand, ait pu oublier à ce point les règles les plus élémentaires d’un suffrage à deux tours ? En ouvrant au centre avant le premier tour avec sa déclaration selon laquelle son programme n’était pas socialiste, il organisait son futur échec en ignorant la vieille pratique républicaine : on se compte au premier tour, c’est-à-dire qu’on recentre autour de ses valeurs, de son projet, de ses électeurs traditionnels, et on “ouvre” au second. Il a d’abord ouvert (en disant que son projet n’était pas socialiste), puis constatant l’erreur, il a voulu recentrer. Résultat : les socialistes “pur sucre” n’ont pas voulu voter pour lui au premier tour puisqu’il n’était pas assez à gauche et le disait (!) tandis que les sympathisants, en observant sa volte face ont pu se dire que son ouverture était au mieux de la tactique politicienne et au pire une tromperie, d’où une bonne partie des abstentions.


3. Un positionnement ambigu

La stratégie de campagne résulte d’un positionnement politique très ambigu, démontrant les limites du concept de majorité plurielle. Premier choix stratégique : on défend le bilan de législature bec et ongle, ce qui suppose que tout le monde en fasse autant ! Ceci semble illusoire avec le recul  mais n’était pas incohérent car des actions réelles ont été menées même si elles sont contestables et que certaines décisions ou certains textes ont visiblement été clientélisme et trop technocratiques : ce fut - comme avec la droite de Juppé - le délire de la réglementation. Pour s’en convaincre, il suffit de discuter avec les gens - et pas seulement des fonctionnaires). Second choix stratégique : on dépassait le bilan, on transcendait les actions en offrant un grand projet, un “dessein pour la France”. Ceci eût été habile, car c’était le bon moyen de  dépasser le thème de l’insécurité par des perspectives générales, en resituant la politique comme moteur d’une vision de la société. En accusant “les autres”, le PS n’a rien compris aux attentes de beaucoup de nos concitoyens. Certes, en politique il faut de la proximité (ce sont les cages d’escalier dont parlait naguère Michel Rocard), mais dans une présidentielle, il faut aussi des propositions à long terme. La plupart des politiques se sont laisser imposer le regard éphémère des médias, ils n’osent  plus se projeter et demander des efforts à défaut “de sueur, de sang et de larmes”. Ce serait réduire l’électeur à un vulgaire consommateur que de croire qu’il ne lui faut que des petits “produits électoraux” clientélistes ou corporatistes. C’est le drame du PS que de ne  pas parvenir à articuler le concret, le local et le général, le long terme, le souffle, le projet ou ce qui se nomme aujourd’hui la vision. La droite connaît elle aussi ces difficultés mais moins gravement, car étant plus désabusée sur l’être humain, elle cherche moins à produire des discours messianiques pour convaincre ses électeurs. En croyant être proche du peuple et en refusant le dépassement, l’effort, la responsabilité, la rigueur (qu’on se rappelle les quolibets contre Chevènement et les “sauvageons” ou l’absence de réactions républicaines pendant la Marseillaise au stade de France…), le PS n’apparaît plus que comme un parti… conservateur qui ne propose plus rien de motivant. La dérive “simplificatrice” ou “réductrice” a été esquissée en 1995, mais beaucoup d’électeurs avaient encore en tête la campagne de 1988 et ses effets furent réduits et presque tout s’articula sur la “fracture sociale” (superbe exemple de rattrapage de positionnement, piloté par Jacques Pilhan qui travaillait avant pour Mitterrand). On ne fait pas de la politique qu’avec des bons sentiments et un désir de bien faire. Il faut autre chose, il faut incarner une envie, un élan, un souffle ou un inconscient collectif, chaque candidat devant  trouver les mots qui lui conviennent. La question est pourtant simple : dans quelle société voulons nous vivre ? Et même s’il est vrai que la (trop longue) cohabitation a brouillé les messages, ce n’était pas une raison pour la poursuivre pendant la campagne (quitte à démissionner de son poste si le service de l’État l’exigeait pour l’un ou l’autre des protagonistes).













Il est rare que j'exprime publiquement ce que je pense au plan politique.

Pour une fois, je fais une entorse à la règle en présentant une analyse assez personnelle des résultats du premier tour des présidentielles de 2002.

On y découvrira que la stratégie de Lionel Jospin a été selon moi suicidaire, sa communication calamiteuse, ce qui me permet de plaider pour un retour à l'affichage, vu de toutes et de tous et qui force à livrer un message clair !!!

J'y propose aussi une refondation assez critique de la gauche ainsi que quelques autres idées pour alimenter un débat qui n'est pas près d'être clos. J'y rends un peu hommage à l'action de François Mitterrand, bien critiqué de nos jours par des gens qui ont profité du pouvoir ou n'ont rien fait pour se changer eux même et lui reprochent toutes ces actions en compensation des efforts qu'ils n'ont pas fournis (dans les quelques allées du pouvoir que j'ai fréquentées dans les années 80, j'ai observé un népotisme effrayant). Je conseille la lecture de l'ouvrage de Pierre Péan, peu soupçonnable de complaisance : il remet bien les choses en place.

Je souhaite avant tout ne pas être sectaire ni dogmatique comme hélas trop de gens, y compris d'enseignants qui devraient pourtant être ouverts et prudents. Si cet article vous fait réfléchir, quelles que soient vos préférences, tant mieux, j'en serai ravi. S'il vous choque, pardon.